UJFP – De la reconnaissance au meurtre

Deux événements ont marqué récemment l’actualité.
D’une part une vague de vœux votés par certains Parlements européens demandant la reconnaissance de l’Etat de Palestine.
D’autre part l’assassinat par l’armée israélienne d’un ministre de l’Autorité Palestinienne qui participait à une manifestation contre ce qu’on appelle la “colonisation”.
En quoi ces deux événements sont-ils liés ?

Il ne s’agit pas de dire que le second, l’assassinat d’un ministre palestinien, est la réponse israélienne aux divers votes sur la reconnaissance, il s’agit de revenir sur ce qui les relie, la “colonisation”, c’est-à-dire l’annexion, morceau par morceau, de la terre palestinienne par l’Etat d’Israël.

Disons d’abord que cette annexion, morceau par morceau, a pour objectif non seulement d’occuper le maximum de terre palestinienne, mais de vider ces terres de leurs habitants palestiniens pour les remplacer par une population juive.

Si l’Etat d’Israël a annexé Jérusalem après la conquête de 1967, ville qui sera déclaré “capitale éternelle de l’Etat d’Israël”, il n’a pas annexé les autres territoires conquis. En effet une annexion aurait conduit à faire des Palestiniens habitant les territoires conquis des citoyens israéliens, ce qui aurait augmenté la population non juive d’un Etat dont l’idéologie fondatrice déclare qu’il est réservé aux seuls Juifs. Par contre la “colonisation” commencée dès la conquête, permettait une annexion par morceaux conduisant à remplacer la population palestinienne considérée comme indésirable par une population juive conformément à l’idéologie fondatrice. Le processus de négociations mis en place après les Accords d’Oslo n’a pas mis fin au processus d’annexion, ce qui a conduit à découper la Cisjordanie, rebaptisée Judée-Samarie comme si cette appellation antique légitimait l’annexion, en petits morceaux rendant impossible la création d’un Etat de Palestine viable. Cette politique, loin d’être conjoncturelle, s’inscrit dans l’idéologie fondatrice de l’Etat d’Israël, le sionisme. On comprend alors pourquoi les gouvernements israéliens refusent tout gel de la “colonisation” comme le demande les alliés d’Israël ; geler la colonisation serait une première brèche dans le sionisme.

La question de la reconnaissance ne saurait éluder cette question, sauf si elle a d’autres objectifs que le simple discours sur les deux Etats. D’autant que le découpage aujourd’hui imposé par l’occupant israélien laisse bien peu de place à un Etat de Palestine.

En fait il s’agit moins de reconnaissance d’un Etat de Palestine aujourd’hui improbable que de soutien à l’Autorité Palestinienne. Que signifie alors ce soutien ? Il ne s’agit surtout pas de soutenir l’Autorité Palestinienne dans ses difficiles négociations avec les gouvernements israéliens. Depuis les Accords d’Oslo, le processus de paix se traduit par des échecs successifs des négociations, la question première étant de faire porter la responsabilité de l’échec sur la partie palestinienne. Pour comprendre ce processus, il faut revenir sur les Accords d’Oslo et sur les contraintes que ces Accords imposaient à la partie palestinienne. Dans ce cadre, l’Autorité Palestinienne n’est qu’un moyen de préserver l’hégémonie israélienne sur la Palestine, hégémonie dont l’un des moteurs est la “colonisation”. En attendant une négociation finale qui ne viendra pas, les Accords d’Oslo supposent la fin de la Résistance et c’est l’un des rôles de l’Autorité Palestinienne que de s’opposer à la Résistance. Tant qu’Arafat restait à la tête de l’Autorité Palestinienne, il savait jouer de l’ambiguïté pour à la fois jouer la négociation et jouer la Résistance ; c’est cette ambiguïté qui a conduit l’Etat d’Israël à chercher à se débarrasser d’Arafat au cours de la seconde Intifada. Une fois Arafat décédé et remplacé par Mahmoud Abbas, ce dernier choisissait de jouer la négociation, multipliant les concessions dans l’espoir qu’en retour les Israéliens feraient quelques concessions. Une politique qui aurait eu sa cohérence si les Israéliens avaient joué le jeu. Mais ce que n’a jamais compris Mahmoud Abbas, c’est que les Israéliens ne jouaient pas ; s’ils savaient profiter des concessions de Mahmoud Abbas, ils n’ont cédé sur rien et Mahmoud Abbas s’est retrouvé incapable de justifier sa politique devant les Palestiniens. Pire, il a facilité la tâche des Israéliens face à la Résistance. Dans ces conditions, la solution de deux Etats telle que l’avait proposé Arafat en 1988 n’avait plus de sens, d’autant que les Israéliens ne l’ont jamais prise en considération. En ce sens, la reconnaissance a pour seul objet, et cela quelles que soient les raisons de ceux qui la soutiennent, de soutenir Mahmoud Abbas et l’Autorité Palestinienne, non dans une difficile négociation avec les Israéliens, mais dans leur opposition à la Résistance.

On comprend alors que pour les Israéliens, le fait qu’un ministre de l’Autorité Palestinienne se mêle à des manifestations contre la colonisation est intolérable. On va pouvoir dénoncer encore une fois la violence israélienne, mais cette dénonciation ne peut prendre sens que si on prend des sanctions contre l’Etat d’Israël, si on juge les responsables des crimes de guerre perpétrés par l’armée israélienne et si on empêche une “colonisation” qui n’est que l’achèvement de la conquête de 1948.

Rudolf Bkouche Membre de l’UJFP