Terra Santa – Le gaz sous-marin en Méditerranée orientale et ses enjeux stratégiques

Dans le scénario tourmenté du Moyen-Orient un nouveau protagoniste a fait son apparition, encore peu connu du grand public, son nom : le gaz. Les lecteurs attentifs de Terrasanta.net auront déjà entendu parler des gisements sous-marins découverts en Méditerranée orientale.

En effet en 2010, du nom biblique de Léviathan, avait été baptisé une nappe s’étendant de Chypre au Liban en passant par Israël et la bande de Gaza; Léviathan était alors présentée comme l’une des plus grandes réserves de gaz au monde. Sa découverte fait suite à d’autres domaines plus petits découverts ces dernières années au large des côtes du Levant. Selon une étude géologique menée par un centre spécialisé aux États-Unis, ces réserves seraient en quantité comparable à celle de l’Irak. Un réservoir, Aphrodite, situé tout près des côtes Chypriotes, pourrait faire de l’île l’un des principaux fournisseurs de l’Union européenne. Tous les gouvernements de la région tablent déjà sur des revenus généreux, mais la ruée vers le gaz semble ralentie par le paysage géopolitique actuel et les nombreux obstacles à la coopération érigés par les états eux-mêmes. Plateformes marines pour le forage en mer, pipelines, installations de gaz liquéfiés : tout ceci nécessite des milliards de dollars que tous les investisseurs étrangers ne sont pas prêts à dépenser.

Israël se trouve au centre du jeu: deux entreprises du secteur, l’israélienne Delek et l’américaine Noble, possèdent aujourd’hui 85 % du Léviathan. Mais un arrêt d’exploitation a été prononcé, en janvier par les autorités israéliennes, jugeant les deux sociétés déloyales et violant la loi en matière de concurrence. La date de mise en marche de l’exploitation pourrait ainsi être reportée à 2020 voire au delà.

Ces gisements en devenir pourraient être des forces motrices pour l’économie de toute la région. La Jordanie a signé un protocole d’accord en décembre pour importer du gaz israélien à un coût inférieur au cours des quinze prochaines années. Même l’Egypte, qui jusqu’en 2012 se fournissait en Israël, pourrait devenir un importateur. Cependant le manque de clarté dans la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) au large des côtes, rendra l’extraction d’hydrocarbures conflictuelle. Et ce en particulier pour le Liban à qui revient une part du gâteau mais dont Beyrouth a été exclu tout comme la Syrie en raison de la guerre civile. Le Liban et Israël devraient, en principe, s’en tenir à la Convention des Nations Unies qui réglemente l’exploitation des ressources sous-marines; si le Liban a bien adhéré au Traité, ce n’est en rien le cas d’Israël qui se sent libre d’anticiper toute concurrence dans l’exploitation de l’énergie et ce même dans les zones maritimes contestées.

Mais l’aspect le plus complexe concerne la question palestinienne: une partie des réserves sont situées dans les eaux du pourtour de la bande de Gaza, et selon les accords internationaux, l’Autorité palestinienne doit pouvoir bénéficier des revenus. Dans les années 90, une société britannique avait exploré les fonds marins en face de Gaza, et les gisements Marine 1 et Marine 2 mis en exergue comme source de revenus pour les Palestiniens et monnaie d’échange dans les négociations avec Israël. Arafat lui-même, en 1999, avait inauguré des forages, mais ceux-ci n’ont jamais été mis en service en raison des obstacles placés par Israël, théoriquement principal acheteur. Après la victoire du Hamas, à Gaza en 2006, une des préoccupations constantes du gouvernement de Jérusalem fut d’empêcher le mouvement politique, déclaré terroriste, de contrôler ce gaz parce que, comme exprimé en 2007 par la bouche du chef de l’armée Moshe Ya ‘alon, ces revenus auraient pu alimenter le terrorisme.

Selon de nombreux observateurs, les trois campagnes militaires menées par Israël contre la bande de Gaza depuis 2008 à aujourd’hui auraient eu la même finalité. Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (Abou Mazen), en janvier 2014 à Moscou, a offert à la Russie la possibilité que Gazprom exploite ces réserves et le rapprochement successif entre les deux âmes politiques palestiniennes, le Hamas et le Fatah, semblait avoir ouvert la voie à cet accord avec les Russes. Mais l’opération militaire “Bordure de protection”, déclenchée contre Gaza entre juillet et août 2014 a de nouveau tué dans l’œuf ce projet. En plus de causer deux mille morts et d’énormes dégâts matériels, la guerre a empêché toute initiative internationale visant à soutenir le développement de Gaza, où 1,8 million de personnes vivent dans des conditions de plus en plus difficiles. Les possibilités offertes par le gaz restent pour l’heure gelées.