Quel Donald Trump gérera le Moyen-Orient ?


Décryptage

Le candidat isolationniste devrait pousser encore plus loin le retrait américain dans la région et laisser les Russes en prendre le leadership.

Anthony SAMRANI | OLJ

Il aura fallu presque 8 ans pour vraiment saisir ce qu’est la doctrine Obama en matière de politiques étrangères : un dosage de réalisme, de non-interventionnisme et d’internationalisme, disséqué dans un excellent article de The Atlantic au mois de mars 2016. Combien en faudra-t-il désormais pour comprendre ce qu’est la doctrine Trump dans la même matière, si tant est qu’elle existe un jour ?

L’arrivée au pouvoir du milliardaire américain est un saut dans l’inconnu pour l’ensemble de la communauté internationale. Sa politique pourrait bouleverser l’ordre international et remettre en question les bases du leadership américain, fondé notamment sur de solides alliances aux quatre coins de la planète. Ce scénario crée une véritable hantise pour les dirigeants en Europe, en Extrême-Orient et en Amérique du Sud. Mais c’est bien au Moyen-Orient que la mise en pratique de la doctrine de celui qui a dit vouloir interdire à tous les musulmans l’accès au territoire américain pourrait faire le plus de dégâts. Dans cette région complètement déstabilisée depuis cinq ans, chaque action des États-Unis peut entraîner un changement de l’équilibre des rapports de force entre les deux puissances rivales, l’Arabie saoudite et l’Iran, et de leurs satellites.

Ayant soutenu, comme l’ont rappelé plusieurs médias américains, les interventions en Irak et en Libye par le passé – même s’il le nie aujourd’hui –, l’ancienne star de la téléréalité a totalement retourné sa veste pendant la campagne et a prôné un certain isolationnisme. « Il va probablement pousser encore plus loin le désengagement des États-Unis au Moyen-Orient », estime Tarek Mitri, directeur de l’Institut des politiques publiques et des Affaires internationales à l’AUB, et ancien ministre. « Il ne s’intéresse à la politique étrangère que dans la mesure où elle impacte la politique intérieure, ce qui n’est pas le cas avec le Moyen-Orient », ajoute-t-il.

Plus ou moins saluée par tous les dirigeants du Moyen-Orient, l’élection de « Donald » fait naître de multiples interrogations tant elle laisse ouvert le champ de tous les possibles. Mais ses prises de position durant la campagne marquent clairement une volonté de renouveler la politique américaine dans la région et de privilégier un camp sur les autres. Cette tendance inquiète les uns autant qu’elle réjouit les autres.

Réhabilitation par défaut
Dans le camp de ceux qui se frottent les mains : Vladimir Poutine, Bachar el-Assad, Abdel Fattah al-Sissi – le seul dirigeant arabe ayant rendu visite à M. Trump et le premier à lui avoir téléphoné pour le féliciter après sa victoire –, et Benjamin Netanyahu. Les deux premiers redoutaient une victoire d’Hillary Clinton, qui prône un discours plus ferme que Barack Obama sur le dossier syrien. Avec celle du magnat de l’immobilier, c’est au contraire une formidable opportunité pour le chef du Kremlin et son obligé syrien qui semble se dessiner : celle d’une réhabilitation par défaut.

« Donald Trump a laissé entendre dans l’un des débats qui l’opposaient à Clinton que Bachar el-Assad était un moindre mal », rappelle Karim Émile Bitar, spécialiste du Moyen-Orient et des États-Unis et professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. S’il considère le président syrien comme un « bad guy », le futur locataire du bureau Ovale n’a aucune intention d’apporter son soutien à des rebelles « que personne ne connaît ». Il prône au contraire une alliance avec « la Russie qui, comme l’Iran et Assad, combat l’État islamique (EI) », pour lutter contre le groupe jihadiste. Face auquel il a élaboré une stratégie dont il a refusé de dévoiler jusqu’à présent le contenu pour ne pas perdre « l’effet de surprise ».

Davantage que sa vision des théâtres de conflit au Moyen-Orient, c’est surtout sa relation avec son homologue russe, dont il a fait l’éloge à plusieurs reprises, qui devrait déterminer sa politique dans la région. « Si les relations entre les deux hommes sont bonnes, cela ne le dérangerait pas de laisser les coudées franches à la Russie au M-O », considère M. Mitri. Les grandes lignes de la politique du 45e président des États-Unis ne sont pas encore très claires. S’il souhaite se rapprocher des Russes, et par extension des Syriens, il a pourtant critiqué avec virulence l’attitude de l’Iran, l’autre parrain du régime syrien, avec lequel il a promis de renégocier l’accord nucléaire. Voici exactement le cœur de la problématique Trump par rapport à la Syrie : comment ménager le binôme Poutine-Assad tout en tapant sur les ayatollahs au pouvoir à Téhéran ?
« Une seule chose est sûre, l’élection de Trump va conforter le camp des nationalistes autoritaires dans le monde arabe et créer une sorte d’internationale autoritaire où chacun renforce le pouvoir de l’autre en faisant son éloge. Cela rappelle le concept de société d’admiration mutuelle, défini par Pierre Bourdieu », analyse M. Bitar, qui n’écarte toutefois pas « un risque de confrontation entre tous ces dirigeants au tempérament ombrageux ».

 

Tout et son contraire
Les Saoudiens pourraient être les grands perdants de l’affaire – sauf si M. Trump entend réchauffer les liens avec le partenaire sunnite modéré privilégié. Après le refroidissement de leurs relations avec Washington pendant les deux mandats de M. Obama, ces Saoudiens espéraient une victoire de Mme Clinton avec qui ils entretiennent de bonnes relations. « La question est de savoir comment les Saoudiens vont se positionner par rapport à ce président qui semble plus proche des nationalistes autoritaires prétendument laïques que des monarchies du Golfe, note M. Bitar. Mais Donald Trump est un businessman, il pourrait trouver des intérêts communs avec Riyad. »

Les Israéliens, de leurs côtés, ont de quoi être satisfait de la victoire du candidat du Grand Old Party. S’il avait au départ promis d’adopter une position de neutralité par rapport au conflit israélo-palestinien, il a assez vite durci son discours en faveur d’un soutien total à Israël. Au point de proposer de déplacer la capitale de l’État hébreu à Jérusalem. « L’élection de Trump signifie qu’il n’y aura pas d’État palestinien », s’est félicitée hier la ministre israélienne de l’Éducation Naftali Bennett.

Tout cela ne repose, pour l’instant, que sur les discours d’un candidat qui a été capable de dire tout et son contraire. Rien ne garantit que le président Trump sera le même que le candidat Trump. « Son tempérament le pousse à être isolationniste mais, par la force des choses, l’Amérique devra interagir avec le monde », résume M. Bitar. « Le principal problème, c’est qu’on ne le connaît pas », conclut M. Mitri.