Quand les chrétiens d’Egypte aident les musulmans à rompre le jeûne du ramadan

Par Aziz El Massassi (contributeur Le Monde Afrique, Le Caire)
Dans le bazar de Khan el-Khalili, au Caire, pendant le mois du ramadan, en juillet 2014.

Du riz, du pain, du poulet. Si le dîner est frugal et dure moins d’une demi-heure, l’événement reste exceptionnel dans une Egypte régulièrement secouée de violences intercommunautaires. L’église évangélique Kasr Al-Doubara organise au Caire des iftar – le repas qui, à chaque coucher du soleil, rompt le jeûne pendant le mois du ramadan – à destination des musulmans défavorisés.
A quelques mètres de la place Tahrir, cet établissement très actif ambitionne de participer à la concorde interreligieuse par ce geste envers les plus nécessiteux. L’église sert 350 plats tous les vendredis et samedis soir depuis le début du mois sacré de l’islam, le 6 juin.
« Le but est de faire communauté avec nos frères musulmans. Je refuse de voir notre cohabitation comme source de tensions ou de problèmes », affirme le prêtre Fawzy Wahib, à l’initiative de ces repas organisés depuis cinq ans.
Installé à l’une des cinq grandes tables dressées en pleine rue pour l’occasion, le religieux insiste sur la dimension caritative de l’événement, dans un pays où la pauvreté concerne au moins 26 % de la population : « Cette année, le nombre de personnes bénéficiaires a augmenté par rapport aux précédentes éditions, à cause du contexte économique très difficile dans le pays. Et la situation est bien pire en dehors du Caire. »
Violences dans le centre du pays
Quelques minutes avant que l’appel à la prière de la mosquée la plus proche ne résonne dans tout le quartier, autorisant les musulmans à rompre le jeûne, Fawzy Wahib harangue ses convives : « Musulmans et chrétiens, nous formons un cœur unique, celui de l’Egypte. Nous sommes un seul peuple, un seul pays. Vive l’Egypte ! »
Sous le regard des officiers, présents en masse devant l’église, l’ensemble de l’auditoire applaudit le discours aux tonalités nationalistes, qui n’est pas sans rappeler les mots du président Abdel Fatah Al-Sissi à la suite des violences intercommunautaires du début du mois de juin à Al-Minya, en Moyenne-Egypte. Une région où l’Etat est accusé d’abandon des chrétiens, soutiens traditionnels du régime, et de complaisance envers les extrémistes salafistes, alors même que le gouvernement se targue de promouvoir un islam éclairé et tolérant.
Fin mai, des villageois de la province avaient incendié plusieurs domiciles de familles chrétiennes et agressé une femme copte à la suite de rumeurs faisant état d’une relation amoureuse entre son fils et une musulmane.
« Ma génération refuse de vivre dans un pays divisé »
Au rythme assourdissant d’une chanson pop louant la grandeur de l’église chrétienne et de l’Etat, une fidèle fait du zèle, drapée des couleurs de l’Egypte et portant autour du coup un crucifix, une main de Fatma et un portrait du président Abdel Fatah Al-Sissi.
Fawzy Wahib récuse toute concurrence entre les différentes communautés chrétiennes, en particulier vis-à-vis de la puissante Eglise copte, la plus importante du Proche-Orient, représentant entre 6 % et 10 % des 91 millions d’Egyptiens. Chaque année, d’autres églises organisent le même type d’opérations dans tout le pays.
« Nous essayons d’aider nos frères les musulmans comme nous le pouvons, lance Caroline Samir, 17 ans, une fidèle de l’église évangélique, en servant les derniers plats. C’est une chose très importante à l’heure actuelle, en particulier pour ma génération qui refuse de vivre dans un pays divisé. Nous avons choisi la voie de l’unité. »
Lorsque les lieux se vident, une femme en niqab et une jeune bénévole chrétienne au brushing impeccable débarrassent ensemble les derniers couverts. Le son de la musique est coupé. Chacune s’en ira de son côté.