Politis – Editorial : Palestine, l’heure de vérité

Cela fait combien de temps que nous récitons le catéchisme diplomatique à propos du conflit israélo-palestinien ? Vous savez, « deux États vivant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues… ». Depuis la guerre des Six-Jours de juin 1967, et l’occupation par Israël de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, ces mots lancinants rythment les discours officiels. Or, nous vivons ces jours-ci un grand paradoxe : si le slogan retrouve quelque consistance, c’est précisément parce que chacun a conscience qu’il est sur le point de devenir à jamais inopérant. Nous voilà à cet instant fatidique où, à force de colonisation, la solution « à deux États » va cesser d’avoir la moindre pertinence.

Même le vénérable Mahmoud Abbas, homme de tous les compromis et, parfois, de toutes les naïvetés, a fini par perdre patience. Car ce demi-siècle de vraies et, surtout, de fausses négociations n’a eu finalement qu’un seul effet : permettre à Israël de s’approprier méthodiquement le territoire palestinien. En fait, l’État hébreu n’a jamais oublié la leçon de son père fondateur, Ben Gourion, qui, dès 1937, recommandait à ses détracteurs, encore plus sionistes que lui, d’accepter le « partage » et de prendre patience : « L’État hébreu partiel n’est pas une fin, leur avait-il dit, mais seulement un début […], nous ferons venir tous les juifs qu’il sera possible d’y amener […], et alors je suis certain qu’on ne nous empêchera pas de nous installer dans d’autres parties du pays, soit en accord avec nos voisins, soit par tout autre moyen… » Les « autres moyens », l’histoire nous les a révélés. La terreur, d’abord, répandue par des groupes sionistes sur les villages arabes, dans les premières années d’Israël. Puis, peu à peu, une colonisation administrative. Un accaparement progressif et souvent silencieux des terres palestiniennes. Ce que notre ami Michel Warschawski appelle la stratégie du jeu de go. Le génie des stratèges israéliens réside en ceci qu’ils provoquent une violence, parfois organisée, mais le plus souvent individuelle et désespérée. Une violence dont ils tirent ensuite argument pour délégitimer ceux qui, du côté palestinien, ont fait depuis plus de vingt ans le choix de la négociation. Le cercle est sans fin. Et la colonisation n’a ralenti que dans les « années Rabin », de 1993 à 1995, au lendemain des accords d’Oslo. Mais l’ancien général reconverti en homme de paix, tombé sous les balles d’un extrémiste juif, a emporté dans la tombe son secret. Aurait-il été jusqu’au bout de sa logique ? Question à jamais sans réponse. Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Un chiffre résume, d’ailleurs imparfaitement, la réalité : un demi-million de colons sont désormais installés sur des terres palestiniennes, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Imparfaitement, disais-je, parce qu’il faudrait aussi prendre en compte les terres encore vides mais préemptées par Israël. C’est cette réalité de terrain qui risque d’invalider demain la « solution à deux États » – si ce n’est déjà fait !

Au bord de cet abîme, les plans de construction continuent de se succéder. Voilà pourquoi, faute de la moindre perspective politique, un climat de violence s’installe. Attaques de colons contre des paysans palestiniens ; attaques de Palestiniens contre des juifs, à un arrêt d’autobus, ou dans une synagogue, comme ce fut le cas le 18 novembre à Jérusalem. Au-delà de cette réalité dramatique, un autre facteur devrait hâter une prise de conscience internationale : c’est la nature même de l’actuel gouvernement israélien. Un gouvernement dominé par les colons les plus irascibles. À quelque chose, dira-t-on, malheur est bon. Ce qui se faisait hier dans l’hypocrisie et la discrétion se fait aujourd’hui dans le défi et l’arrogance. Le gouvernement de M. Netanyahou ne permet même plus à ses alliés traditionnels de faire mine de ne pas voir. Devant ce point de non-retour, où tout discours diplomatique va devenir impossible, les États-Unis et les Européens vont devoir choisir. Au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, ils auront d’ici à la fin du mois à se prononcer sur une résolution palestinienne qui fixe une limite dans le temps (deux ou trois ans, pas davantage), et dans l’espace (les frontières de 1967) à une éventuelle négociation sur le statut final.

C’est le dernier spasme de la « solution à deux États ». Au cours de ces semaines décisives, les grandes capitales pourront aussi anticiper, même symboliquement, la reconnaissance d’un État palestinien. Le gouvernement suédois a déjà franchi le pas. Le Parlement britannique a invité le gouvernement de David Cameron à faire de même. Nos députés et sénateurs voteront pour leur part le 28 novembre, sur un texte d’abord proposé par la sénatrice EELV Esther Benbassa, et repris par presque toute la gauche, socialistes compris. Mais que fera le gouvernement ? Laurent Fabius, sans se départir de son habituelle prudence, y semble plutôt favorable. Mais on connaît le tropisme de François Hollande, et le cœur très « droite israélienne » de Manuel Valls. Accessoirement, c’est une nouvelle ligne de front qui s’ouvre au sein de la gauche. Mais ce n’est là qu’anecdote en regard de ce qui peut arriver en Palestine si les dernières tentatives politiques échouent.