OLJ – Les réponses d’Israël « ne sont pas politiques, mais brutalement sécuritaires »

Les violences se sont étendues hier pour la première fois à la bande de Gaza où six jeunes Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens, lors de rassemblements en solidarité avec les Palestiniens de Cisjordanie occupée et de Jérusalem-Est. Le Hamas a de son côté appelé à renforcer et à accentuer « l’intifada ». 
Depuis les années 90, rien n’a véritablement changé aux yeux de la population palestinienne et en particulier des jeunes, qui n’ont plus espoir en l’autorité dirigeante et subissent les violences des colons israéliens et des forces de l’ordre. Depuis des semaines, de nombreuses manifestations souvent suivies de heurts ébranlent les territoires palestiniens et Israël.

Se dirige-t-on réellement vers une 3e intifada ? Les ingrédients sont-il tous réunis ?

Tout dépend de ce qu’on appelle une intifada. Si on pense à un soulèvement organisé avec coordination et organisation politiques, et avec des objectifs déterminés, je crois qu’on n’a pas affaire à une intifada. Par contre, si on pense le problème autrement aujourd’hui, qui est une réaction d’une partie de la jeunesse palestinienne, privée d’à peu près tout et d’abord privée d’avenir, et que la frustration, pour certains d’entre eux, se transforme en violence par des jets de pierres, et, dans certains cas, terribles, en prenant l’arme blanche contre des Israéliens… il s’agit plutôt de cela, oui. Aujourd’hui, il n’y a plus de structuration politique en Cisjordanie. Gaza est complètement fermée et le Hamas n’a que peu de leviers. Nous sommes dans une situation qui peut changer dans les prochains jours ou les prochaines semaines, c’est évident. Mais il s’agit plutôt d’une forme d’atomisation des réactions qu’on voit un peu partout. Dans les réseaux sociaux, beaucoup de choses circulent, les jeunes voient ce qui se passe, évidemment, cela les attire beaucoup, et les émotions du côté des Palestiniens sont fortes.

Cette série de violences est-elle vouée à se généraliser ou peut-elle être contenue dans le temps et l’espace, alors même que le Hamas a appelé à une troisième intifada et que le maire de Jérusalem a demandé aux habitants de sortir armés ?

Je crois que le Hamas n’a pas vraiment les moyens d’organiser les choses en Cisjordanie, d’autant plus que l’Autorité palestinienne, au contraire, même si elle est très faible, est sur une posture différente afin qu’il n’y ait pas de généralisation des violences. Ce qu’ils font, c’est tout au plus instrumentaliser la désespérance de jeunes. Du côté israélien, malheureusement, c’est toujours la même démarche. Aucune réponse véritablement politique, mais plutôt des réponses brutalement sécuritaires. Il y a quelques semaines déjà, le gouvernement avait autorisé l’armée à tirer sur les lanceurs de pierres, puis a élargi cette autorisation déjà possible dans certains cas précis. Constater maintenant que le maire de Jérusalem dit aux habitants juifs de porter les armes, c’est une fausse manière, une très dangereuse manière de répondre à la situation, car ça ne peut qu’envenimer les choses.

Ce qui arrive et qui visiblement va se poursuivre en Israël et dans les Territoires ne risque-t-il pas d’être dilué dans une crise syrienne vampire, dont les répercussions et les corollaires accaparent pratiquement toute l’attention de la communauté internationale ?

Je crois au contraire que cela rappelle le conflit. On oubliait, enfin on voulait oublier, notamment dans les chancelleries, la question israélo-palestinienne. Il n’y avait plus du tout d’initiatives politiques, nous étions absolument au point mort. Donc ce qui se passe dans les territoires palestiniens occupés, il faut le rappeler, de même que l’annexion illégale de Jérusalem-Est, c’est une répression souvent ferme. Évidemment, quand on n’entend pas de bruit de cette région, on pense que tout s’y déroule normalement. Mais en fait non : il y a un conflit d’une très grande gravité, avec une occupation qui s’est doublée, surtout depuis 15 ou 20 ans d’une très grande virulence, d’une colonisation. C’est une occupation et une colonisation d’une terre qui est palestinienne, et avec un refus, un déni pour les Palestiniens d’avoir leur État.

Les attaques isolées à l’arme blanche, de la part de Palestiniens pour la très grande majorité, se sont multipliées contre des Israéliens et des juifs. Comment peut-on analyser ce phénomène d’utilisation de couteaux et ce procédé d’attaques surprises ?
Pour Melhem Chaoul, directeur de l’Institut des sciences sociales de l’Université libanaise, interrogé par L’Orient-Le Jour, ces jeunes Palestiniens n’ont pas « le choix des armes ». S’ils avaient les pierres auparavant, ils sont désormais passés à une stratégie « plus forte, plus violente, mais font avec les moyens du bord ». Selon lui, il s’agit d’une « forme d’opérationnalité individuelle », un « un contre un ». Si, avant, une foule de jeunes jetaient des pierres sur des policiers ou un services d’ordre, aujourd’hui les attaques au couteau sont beaucoup plus troublantes et plus hasardeuses. Le « n’importe qui, n’importe où, n’importe quelle cible » crée selon lui une frayeur plus importante. Si, pendant la première intifada, on parlait de fedayine sans armes, dans la seconde de « chahid », martyr, ici la forme d’agression balance entre « le clandestin et l’apparent ». Et théoriquement, cela « peut entrer dans le cadre du terrorisme, tant la cible est mouvante, incertaine », explique M. Chaoul. « C’est comme si on se tuait soi-même à travers une bombe ou un colis piégé.»
Aujourd’hui, et au vu d’une situation qui dégénère, quel est le profil sociologique et psychologique de ces jeunes Palestiniens ? « Ils sont dans le désespoir absolu et personne n’en parle », insiste M. Chaoul. Il rappelle que, d’un côté, l’Autorité palestinienne a ses problèmes d’enracinement et que, de l’autre, les autres groupes sont soit complètement dirigés par d’autres pays, soit fichés comme terroristes tels que le Hamas ou le Jihad islamique. C’est pourquoi ces attaques seraient des « initiatives individuelles de désespoir ».
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