OLJ – Après Idleb, Alep, Hama et… Lattaquié ?


En quelques jours, le régime syrien aura perdu deux fronts stratégiques primordiaux : Bosra el-Cham et la ville d’Idleb. Cette dernière, tombée samedi aux mains du Front al-Nosra et de groupes alliés, dont Ahrar el-Cham et Souqour el-Cham, est une grosse perte pour le régime étant donné qu’elle « relie Alep au littoral », explique le politologue libanais Ziyad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris. « S’ils continuent d’avancer, les groupes rebelles peuvent créer beaucoup de difficultés aux troupes loyalistes du côté d’Alep. Et, de plus en plus, le scénario d’un encerclement de cette ville et de sa séparation de son Rif par le régime est derrière nous », estime le spécialiste.


Plus encore, Idleb se trouve entre Alep et le littoral. Et qui dit littoral dit Lattaquié, et donc fief alaouite du président Bachar el-Assad. Néanmoins, estime Ziyad Majed, les islamistes n’ont aucun intérêt à progresser de ce côté. « Je pense qu’ils vont plutôt rester près d’Idleb, d’Alep, et essayer de reprendre au régime des localités perdues, comme le Rif de Hama qui constitue maintenant une priorité », précise-t-il. Le fait que les villes de Hama et de Homs ne sont pas très éloignées d’Idleb est également à prendre en compte, sans compter que les nombreux ressortissants de ces deux grandes villes ont rejoint les différents groupes de l’opposition armée, dont ceux qui se trouvent à présent à Idleb.

Scénario à la Raqqa ?

Toutefois, souligne le politologue, certains activistes qui se réjouissent de la défaite des troupes d’Assad craignent un scénario à la Raqqa, ville de l’est syrien prise il y a deux ans par l’Armée syrienne libre (ASL) et le Front al-Nosra, avant d’être reconquise par l’État islamique (EI) qui en ont fait leur fief. L’avenir à court et moyen terme dans cette région dépend donc surtout du rapport de force entre les différents groupes armés, l’opposition politique et la Turquie, celle-ci ayant contribué, selon Ziyad Majed, à la prise d’Idleb par les islamistes en leur apportant une aide logistique conséquente. Ceci est d’autant plus important que l’ASL a été très affaiblie dans la province éponyme, souligne M. Majed, rappelant les attaques récentes d’al-Nosra contre deux groupes, Jabhet Souwwar Souriyya et Hazem, lequel s’est disloqué pour rejoindre les rangs du groupe aleppin Jabha Chamiyya. Au sein de ce groupe évoluent plusieurs formations ayant fait partie de l’ASL et des islamistes, dont Jaysh el-Moujahidine, Ahrar el-Cham et Souqour el-Cham… mais pas al-Nosra. Là, c’est l’identité « géographique » locale , si l’on peut dire, qui prime, dans le sens où l’appartenance à la région est plus forte que l’idéologie. 

L’ASL au Sud

Dans la province de Deraa, la ville historique de Bosra el-Cham, frontalière de la Jordanie, est elle aussi sous contrôle de l’opposition à présent, mais pas islamiste. « Là, on est plutôt dans ce qui reste de l’ASL, précise M. Majed, ajoutant qu’al-Nosra n’a pas de réelle présence dans le sud. Ces forces ont déjà créé un centre de commandement englobant différentes brigades aux effectifs originaires de la région, c’est-à-dire du Hauran. » L’ASL reste donc la force majoritaire au sud, tandis qu’al-Nosra est présent à Kuneitra, sur le plateau du Golan, et dans le désert de Palmyre. En revanche, toujours selon M. Majed, la Jordanie ne peut pas jouer un rôle actif contre les opposants syriens qui reçoivent par la frontière jordanienne des armes de… l’Arabie saoudite. Fait crucial puisque l’Iran et le Hezbollah sont également bien ancrés dans cette région.

Avec un peu de recul, une tendance semble devenir de plus en plus courante au sein des groupes rebelles armés : celle de se regrouper, de se réunir dans des régions en créant des fronts élargis, souligne Ziyad Majed. Au Sud, l’ASL et autres “modérés”, aidés des Jordaniens et de l’Arabie saoudite. Au centre et au Nord, des islamistes et des brigades locales soutenus par la Turquie et le Qatar. « On remarque de plus en plus un changement d’attitude au sein de l’opposition armée. Si une force arabe militaire conjointe devait être créée (en référence à celle annoncée par la Ligue arabe hier), une coopération sur le dossier syrien pourrait amener à la formation d’alliances et à plus d’aide logistique qui éventuellement pourrait affaiblir le régime syrien », conclut le politologue libanais.