Nouvel Obs – Pascal Boniface : ISRAËL/PALESTINE. Antisémitisme : à l'exagérer, on ne fait que le renforcer

LE PLUS. La guerre entre Israël et le Hamas déteint de manière violente en France. Dans un contexte passionnel, si les propos sont parfois extrêmes, les mettre trop en avant, voire les exagérer, c’est aussi prendre le risque de les intensifier, selon Pascal Boniface, directeur de l’IRIS. Pour lui, il serait peut-être temps de passer à un débat plus apaisé.

De nouveau la question de l’ampleur de l’antisémitisme en France est au cœur du débat politique et médiatique. Il est souvent mené à coups d’injonction morale et de débats passionnels. Il aurait à gagner en rationalité.

Il y a de l’antisémitisme en France, c’est indéniable. Mais il faut savoir que si globalement l’antisémitisme a fortement, reculé il n’a pas disparu. Les préjugés antisémites sont bien moins prégnants qu’auparavant. Il n’y a plus, comme il y a quelques décennies, d’opposition majeure à voter pour quelqu’un parce qu’il serait juif.

Des propos antisémites, autrefois admis, brisent aujourd’hui toute carrière politique ou médiatique. Ils cantonnent ceux qui les ont tenus à la marginalité.

Dynamiter les idées reçues

Y a-t-il un nouvel antisémitisme notamment parmi les jeunes des cités ? Oui et non. Nouveau par rapport à l’antisémitisme traditionnel du XIXe siècle et les années 30 ? Certainement, puisque cette catégorie des “jeunes des cités” n’existait pas l’époque. L’antisémitisme actuel se nourrit des mêmes clichés : les juifs exerceraient un pouvoir occulte, ils seraient nantis, ils dirigeraient les gouvernements et les médias.

Au cours de différents débats j’ai souvent été confronté à ce type de remarques. Il faut à chaque fois, mais pas toujours avec succès, dynamiter les idées reçues. Montrer que les juifs n’ont pas tous la même opinion, y compris sur le conflit israélo-palestinien, que ce n’est pas parce qu’un journaliste est juif qu’il va automatiquement être thuriféraire de Netanyahou, etc. mais il est certain qu’il existe chez certains un rejet des juifs, des sentiments antisémites qui viennent d’ailleurs se greffer sur un rejet de la société des institutions.

S’il ne faut pas nier l’antisémitisme, il ne faut pas non plus, pour ne pas décrédibiliser la cause, en exagérer l’ampleur.

Lorsque le député des Français de l’étranger Meyer Habib déclare qu’il y a “En plein cœur de Paris, sur la place de la République, non pas des centaines ou des milliers, mais des dizaines de milliers de personnes qui crient ‘mort aux juifs’, ‘nous allons vous tuer'”, il exagère tellement en parlant de “dizaines de milliers de personnes” qu’il déforme la réalité.

Lorsque Frédéric Haziza, journaliste à Radio J, LCP/AN et au “Canard Enchaîné”, écrit que des “islamofascistes” ou “nazislamistes” ont tenté de prendre d’assaut de synagogue le 13 juillet 2014 et qu’on a fait “la chasse aux juifs” dans les rues de Paris, il énonce également une contrevérité.

Lorsque Roger Cukierman écrit que des centaines de “jeunes furieux ont attaqué la synagogue”, il en fait de même.

Prévenir toute critique de l’action israélienne

Rappelons que Serge Benhaim, le rabbin de la synagogue de la rue de la Roquette a déclaré qu’il n’y a “pas eu un seul projectile lancé sur la synagogue” le 13 juillet et qu'”à aucun moment nous n’avons été physiquement danger”. Pourquoi dès lors déformer la réalité ?

Pourquoi grossir à ce point un phénomène ? Le but évident, c’est au nom de l’antisémitisme tenter d’empêcher toute critique de l’action du gouvernement israélien. On pourrait dire que c’est “de bonne guerre” et qu’à court terme, ça fonctionne. Le débat sur les frappes israéliennes sur des populations civiles, soumises de surcroît à un blocus est occulté par le débat sur l’ampleur d’un “nouvel antisémitisme”.

Sauf que cette stratégie à trois inconvénients :

1. L’exagération d’un phénomène contribue à sa négation. Ceux qui veulent donner à l’antisémitisme en France une vigueur qu’il n’a pas contribuent à renforcer l’idée chez certains qu’il n’y en a plus. Le mensonge renforce la théorie du complot.

2. Cela vient augmenter l’angoisse des juifs français dont beaucoup sont sincèrement inquiets pour leur avenir en France.

3. Cela contribue au discrédit de la France, notamment aux États-Unis et en Israël où des couvertures médiatiques sensationnalistes font croire qu’on n’est pas très loin de la restauration du régime de Vichy et en tous les cas la France subit un antisémitisme vibrionnaire.

Le Crif devrait accepter le débat

Si la lutte contre l’antisémitisme était l’objectif majeur du Crif, il accepterait un partenariat de tous ceux qui luttent contre l’antisémitisme, même s’ils sont favorables à l’établissement d’un État palestinien, même s’ils sont critiques du gouvernement israélien. Il n’en est rien. Le Crif n’accepte même pas de débattre de façon contradictoire avec eux et au contraire il les combat.

Par ailleurs, il ne peut y avoir d’unilatéralisme dans la dénonciation des insultes et violences racistes. Toutes les associations de solidarité avec la Palestine dénoncent les actes antisémites.

Il serait judicieux que les responsables des différentes associations de solidarité avec Israël dénoncent au même titre les injures, racistes ou non, qui viennent de leurs éléments les plus violents de type LDJ. Or, ils ont plutôt tendance à les défendre, ou au mieux à rester silencieux.

Toutes les formes de racisme doivent être combattues

Il est certes regrettable qu’on ne puisse se promener dans certains quartiers avec une kippa, c’est une réalité inadmissible. Mais je déconseille de se promener avec un keffieh dans certains quartiers. Cette “provocation” serait immédiatement suivie de violences.

Il y a des dérives antisémites sur les réseaux sociaux, mais certains amis d’Israël ne sont pas en reste dans le racisme anti-arabe et les propos haineux à l’égard de ceux qui sont solidaires de la Palestine. Sans que cela ne suscite trop d’indignation, le combat contre l’antisémitisme sera d’autant plus efficace qu’il ne sera pas conditionné par un soutien au gouvernement israélien, que toutes les formes de racisme seront combattues avec la même vigueur, et que toute injure ou violence générée par le conflit du Proche-Orient sera traitée sur un pied d’égalité.

Édité par Rémy Demichelis
Auteur parrainé par Maxime Bellec