Nicolas Hulot : « Il faut construire des passerelles, pas des murs »

Nicolas Hulot : « Il faut construire des passerelles, pas des murs »

Recueilli par Marine Lamoureux

ENTRETIEN. LES DÉMOCRATIES EN CRISE. La déception et la colère grondent, ces temps-ci, dans bon nombre de démocraties occidentales. Comment comprendre le Brexit, l’élection de Donald Trump, la montée des populismes ici et là en Europe ?

Des personnalités sollicitées par La Croix ont accepté de partager leurs réflexions et leurs propositions. Aujourd’hui, Nicolas Hulot, président de la Fondation Nature Homme (FNH).

La Croix : Comment analysez-vous le Brexit et l’élection de Donald Trump ?

Nicolas Hulot : Ces événements suscitent une inquiétude légitime, car ils vont à contre-courant de ce que devrait être le sens de l’histoire. Ils sont le signe d’une volonté de repli, d’une tentation isolationniste, alors même que la crise de civilisation que nous traversons ne peut trouver d’issue que dans l’ouverture, l’intelligence collective, la mutualisation de nos compétences.

Il faut construire des passerelles, pas des murs ! Les défis aujourd’hui posés à l’humanité sont universels, à commencer par le défi climatique. Nous devons donc apporter des réponses collectives, avancer dans l’unité – ce qui ne veut pas dire renoncer à nos différences.

Bref, agir avec la conscience d’une communauté de destin. Or dans un réflexe animal, mû par la peur, le choix du repli l’emporte. Le risque, c’est de perdre la main sur les enjeux qui sont devant nous et notamment l’enjeu environnemental, qui conditionne tous les autres.

Pourquoi êtes-vous convaincu que de cet enjeu découlent tous les autres ?

N.H. : Parce que les dérèglements climatiques viennent renforcer les inégalités, en touchant d’abord les plus vulnérables. D’une certaine manière, c’est l’inégalité de trop, car les peuples frappés par les catastrophes naturelles n’ont pas profité du modèle économique qui les a engendrés – quand il n’a pas prospéré sur leur dos.

On aurait tort de croire que ces exclus vont s’accommoder de cette situation. Sans parler du coût économique de ces dérèglements, de la raréfaction des ressources, des migrations – et je parle là de dizaines de millions de personnes, si l’on ne fait rien. En d’autres termes, le changement climatique est un facteur aggravant de toutes nos crises, qui achève de dresser une partie de l’humanité contre l’autre.

Dans ce contexte, le Brexit et l’élection de Donald Trump surviennent au plus mauvais moment. Je ne pense pas que cela brisera la dynamique de l’Accord de Paris sur le climat, qui est irréversible. Mais cela peut la freiner alors qu’il faudrait au contraire accélérer.

Que préconisez-vous, dès lors ?

N.H. : Les solutions existent, elles sont à notre portée. Pendant trois ans, j’ai sillonné la planète pour préparer la COP21 et j’en suis revenu avec la conviction que nous ne manquons ni de moyens, ni de génie humain.

Partout, les PME innovent, des alternatives sont expérimentées dans tous les domaines – économique, financier, technologique, agricole – qui pourraient devenir la norme à l’avenir. L’enjeu désormais, c’est de sortir des vieux schémas et de reposer la question du sens.

Un seul exemple : à l’heure actuelle, d’après le FMI et l’OCDE, le coût des énergies fossiles en termes de pollution et de santé s’élève à 5 000 milliards de dollars ! Et que faisons-nous ? Nous entretenons ce modèle énergétique en le subventionnant à hauteur de 500 millions de dollars chaque année…

Pourquoi ne pas utiliser cet argent pour promouvoir un modèle alternatif ? D’autant plus que les énergies renouvelables sont un puissant facteur de paix : en donnant à chaque pays la possibilité de produire sa propre énergie, à partir de ressources abondantes et gratuites, on rééquilibre les rapports de force entre États, limitant par là même les sources de conflit.

Pourquoi cette révolution des consciences tarde-t-elle ?

N.H. : Nous avons vécu, au XXe siècle, dans la fascination du progrès technique et la conviction que la croissance économique pouvait être exponentielle. Les moteurs, les solutions de ce modèle productiviste – ainsi du charbon, du pétrole et du gaz, qui ont démultiplié notre puissance – sont aujourd’hui devenus des problèmes.

Nous vivons donc une profonde crise de sens, une forme de sidération. Et pourtant, les éclaireurs n’ont pas manqué, à commencer par le club de Rome (NDLR : dès 1970, dans un rapport, ce groupe d’experts internationaux avait pensé le développement durable et les nécessaires limites à la croissance).

Malheureusement, nos élites, politiques et intellectuelles, n’ont pour la plupart ni le courage, ni la lucidité de s’ouvrir à la créativité à l’œuvre dans la société, de changer de logiciel, préférant entretenir des divisions factices pour mieux exister… Regardez les débats actuels. À droite comme à gauche, les élites portent à mon sens une lourde responsabilité.

Vous auriez pu tenter de transformer ce système en vous présentant à la présidentielle de 2017. Pourquoi avoir renoncé ?

N.H. : Si j’avais été candidat, j’aurais travaillé sur une « République des communs », un socle partagé au-delà de nos clivages habituels. On s’aperçoit d’ailleurs qu’une telle démarche, lorsqu’elle est engagée auprès des responsables de droite et de gauche, des partenaires sociaux, des acteurs économiques, permet d’aboutir au consensus dans beaucoup de domaines.

Le problème, c’est qu’en l’état actuel des choses, il est extrêmement difficile de bousculer un système politique aveuglé par le pouvoir, l’ambition et l’intérêt à court terme. Les grandes formations ne font que tourner sur elles-mêmes.

Quelles devraient être, selon vous, les priorités aujourd’hui ?

N.H. : Il faut tout d’abord redonner une place centrale au temps long, ce qui implique un profond changement de pratiques car nos démocraties fonctionnent actuellement par réaction. Or les enjeux universels que j’évoquais nécessitent de la prospective, de la sérénité, une vision.

Nous pourrions par exemple transformer le Conseil économique, social et environnemental en une « chambre du long terme », en lui donnant un vrai pouvoir politique – ce pourrait être un droit de véto suspensif lorsque les décisions du gouvernement compromettent l’avenir.

Dans un autre registre, l’intérêt porté aujourd’hui aux « Grenelle » est une bonne chose, qui consistent à réunir tous les acteurs autour de la table, comme nous l’avions fait pour le Grenelle de l’environnement, en se donnant du temps et en faisant tomber les postures. On produit alors de l’intelligence collective. Enfin, il faut une planification de la transition.

C’est-à-dire ?

N.H. : Les mutations à l’œuvre sont si profondes qu’elles ne souffrent aucune improvisation. Il faut une planification à cinq ans, dix ans et plus, impliquant l’ensemble de la société. Il est inconcevable de fermer une centrale à charbon ou nucléaire en faisant abstraction des salariés et du territoire. C’est aussi une question de pédagogie, afin que les citoyens s’approprient un changement devenu incontournable.

Recueilli par Marine Lamoureux