Mohammad, infirmier à Alep : « Les enfants ne savent pas qui est Assad ou ce qu’est la rébellion »

Mohammad, infirmier à Alep.

Je vous parle d’Alep…

On parlera plus tard d’Alep comme on parle aujourd’hui de Sarajevo, de Srebrenica ou de Grozny. On parlera de la politique de la terre brûlée menée par le régime syrien, les Russes et les Iraniens sous le regard des Occidentaux, impuissants. Parce que cette histoire tragique est en train de se passer à quelques kilomètres de nos frontières, parce que cette bataille symbolise, plus que n’importe quelle autre, la nature et les enjeux du conflit syrien, « L’Orient-Le Jour » a décidé de donner la parole aux Alépins pendant une semaine. Chaque jour, un Alépin, homme ou femme, vivant à l’est dans les quartiers rebelles, ou à l’ouest dans les quartiers loyalistes, médecin, infirmier, Casque blanc, marchand, combattant, photographe, étudiant ou autre, racontera son quotidien dans l’enfer d’Alep.
Aujourd’hui, le témoignage de Mohammad, infirmier à Alep-Est.

Propos recueillis par Caroline HAYEK | OLJ

« Ce matin, comme chaque matin, je me réveille sans même avoir le sentiment d’avoir dormi ne serait-ce qu’une minute à cause des avions et des bombes. Mais je me lève quand même, porté par l’idée que des gens auront besoin de moi. Je pars au travail sans savoir si je rentrerai à la maison le soir. Vais-je échapper à une bombe à sous-munitions ou au phosphore, ou encore à un baril d’explosifs aujourd’hui ? Le matin, une voiture vient chercher les infirmiers, car nous habitons tous loin de l’hôpital. Il s’agit du plus grand hôpital de campagne d’Alep-Est.

Commence alors une véritable course contre la montre. En arrivant à l’hôpital, mes collègues et moi prenons la relève de ceux qui étaient là pendant toute la nuit. Chaque matin, en découvrant les lieux, nous pouvons imaginer ce qu’ils ont vécu. Nous nettoyons, préparons les chambres d’opération et le matériel. Les avions de la mort sont déjà au-dessus de nos têtes. Et là reprennent les bombardements. Le sol tremble sous nos pieds, nous essayons de nous cacher en nous efforçant de cacher notre peur, car il y a des blessés partout qui comptent sur nous. Les ambulances et des voitures de civils commencent à affluer, qui déposent des femmes et des enfants blessés, encore à moitié endormis, dans leurs pyjamas tachés de sang. On nous emmène des gens sans savoir s’ils sont toujours vivants. Des moitiés de corps, des membres déchiquetés. Les familles hurlent et s’imaginent qu’on peut faire quelque chose, mais parfois il est trop tard. Et ça nous fend le cœur. Le plus douloureux, c’est surtout les enfants victimes de cette guerre. Ils ne savent même pas qui est Bachar el-Assad, ni ce qu’est la rébellion. Tout ce qu’ils souhaitent, c’est de pouvoir manger, jouer… Vivre en somme.