Pour les migrants qui survivent à la traversée de la Méditerranée, l’épreuve continue – La Croix

Pour les migrants qui survivent à la traversée de la Méditerranée, l’épreuve continue

Entre le 20 et le 27 mai, 10 000 migrants ont été secourus en mer entre la Libye et l’Italie. Une fois arrivés en Europe, un long parcours d’errance les attend encore.

À Reggio Calabria, les ONG sont sur le pont. Ce port situé dans le talon de la botte italienne est le deuxième point d’arrivée des migrants en Italie. C’est là que tous les bateaux partis au secours des migrants naufragés ont été redirigés le week-end du 27 mai, alors que l’organisation du G7 à Taormina interdisait tout débarquement en Sicile.

En deux jours, 1 000 naufragés dont 140 mineurs non accompagnés ont été accueillis dans la capitale de la Calabre. Ils viennent essentiellement du Nigeria et des pays d’Afrique de l’Ouest. Avant qu’ils ne posent enfin le pied sur la terre ferme, Médecins du monde a pris l’habitude de monter à bord des navires pour leur expliquer la marche à suivre. « À ce moment-là, ils sont très désorientés. On leur montre où ils se trouvent sur une carte. On leur explique qu’ils vont avoir un premier examen médical. Que ceux qui ont la gale vont devoir prendre une douche avant de rejoindre les autres », raconte Jean-Pierre Foschia, référent médical.

Dans la seule ville de Reggio Calabria, 31 000 migrants étaient déjà arrivés l’an dernier, pour 95 % d’entre eux en provenance de Libye. « Nous constatons une augmentation de 20 % cette année. La part des mineurs est passée à 20 %, contre 14 % l’an dernier », alerte Eve Derriennic, chef de la mission de Médecins du monde.

Un premier « tri » dès la côte

Cette année encore, les traversées et les naufrages de migrants s’intensifient à mesure que la météo devient plus clémente, malgré les efforts des Européens pour fermer la route passant par la Libye et le sud de l’Italie. Et la liste des morts en mer continue de s’allonger. Entre mercredi 24 et samedi 27 mai, 54 corps ont été retrouvés sans vie : dix par les gardes-côtes italiens côté européen, 44 par les gardes-côtes libyens côté africain. Dans le même intervalle, environ 10 000 migrants ont été secourus. Sur la seule journée de vendredi, 2 200 autres ont été conduits en Italie.

Pour eux, le parcours du combattant ne fait que commencer. Un premier tri des migrants s’effectue sur les côtes, dans des centres appelés « hot spots ». Des lieux gérés à la fois par les autorités italiennes, l’agence européenne Frontex, et les ONG. Là, une première identification des migrants se met en place. Un filtre sépare ceux qui peuvent prétendre à l’asile de ceux qui n’ont pas vocation à devenir réfugiés. Les Marocains notamment sont immédiatement reconduits dans leur pays. Mais la grande majorité des migrants restent en Europe : l’an dernier, l’Italie n’a expulsé que 16 755 personnes, c’est peu comparé aux 361 000 personnes échouées sur les côtes italiennes sur la même période.

Les candidats à l’exil sont ensuite répartis un peu partout sur le territoire italien. 13 500 migrants ont, par exemple, été accueillis dans le Piémont. À Turin, il n’est pas rare de voir arriver cinq bus acheminant 250 personnes, raconte Ulrich Stege, responsable d’une clinique juridique à Turin qui vient en aide aux migrants. Il constate, malgré l’urgence, une amélioration générale des conditions d’accueil. « Les centres sont plus structurés, avec un accompagnement social, culturel et psychologique », souligne-t-il.

Le statut de réfugié, loin d’être une assurance

Pendant la durée de l’examen de l’asile – un an en moyenne –, les migrants reçoivent une allocation de 35 € par jour et par personne. Ils peuvent travailler après deux mois de présence. « Le travail est de moins en moins irrégulier, avec des petits contrats. C’est bientôt la période de la cueillette des fruits, puis il va y avoir les vendanges. Dans la région, entre 800 et 1 000 personnes trouvent chaque année un travail saisonnier », explique Ulrich Stege. Le juriste établit toutefois une distinction nette avec le sud du pays, où la norme est encore de voir les migrants entassés dans des camps de fortune, exploités par la mafia pour une bouchée de pain.

Une fois le statut de réfugié accordé ou pas, les migrants ont six mois pour quitter les centres d’accueil. Là, c’est souvent une nouvelle descente aux enfers. Nombre de réfugiés et de déboutés se retrouvent à la rue sans distinction. À Turin, l’ancien village olympique a été réquisitionné pour leur donner un toit. « Certains d’entre eux partent travailler au noir en Allemagne et reviennent ici six mois, le temps de renouveler leur titre de séjour de deux ans », raconte Ulrich Stege.

Les migrants échoués en Italie sont-ils nombreux à voyager ailleurs en Europe ? « La plupart n’ont pas de destination précise en tête en arrivant. Leur trajectoire va essentiellement dépendre des réseaux de passeurs qu’ils vont croiser », explique Eve Derriennic de Médecins du monde. Les francophones visent souvent la France, les anglophones le Royaume-Uni, sans compter ceux qui veulent retrouver leur famille. Les femmes nigérianes, connues pour être victimes de réseaux de prostitution, ont en revanche un itinéraire tout tracé, en Allemagne ou en France. Elles représentent à elles seules 42 % de l’ensemble des femmes passées l’an dernier par l’Italie (13 000). « En France, on les retrouve ensuite à Bordeaux, Nantes, Paris », souligne Eve Derriennic.

À Nice, une situation également critique

Seuls 123 600 demandeurs d’asile ont été enregistrés l’an passé en Italie. Une part importante des migrants traversent donc le massif alpin, direction la Suisse, l’Autriche ou la France. À la frontière franco-italienne, les tentatives de passage se multiplient. Les interpellations – 6 000 sur les seuls mois de janvier et février – ont presque triplé par rapport à la même période en 2016, selon les derniers chiffres de la préfecture.

Là aussi des migrants trouvent la mort. Deux d’entre eux ont récemment perdu la vie en se cachant dans les armoires électriques des trains. Côté français, la colère s’exprime désormais à visage découvert. Mercredi dernier, 80 migrants accompagnés de bénévoles ont manifesté à Nice pour réclamer un hébergement d’urgence et le traitement de leurs demandes d’asile, avant d’être finalement évacués.

Forum réfugiés, une association chargée du premier accueil des demandeurs d’asile dans la région, confirme qu’elle a atteint les limites de ses capacités à Nice, débordée par un afflux extraordinaire composé de Soudanais, mais aussi, dans une moindre mesure, d’Érythréens, de Guinéens et d’Ivoiriens. Les 80 places disponibles ne suffisent plus. « Nous en sommes à 900 personnes hébergées depuis le début de l’année, soit l’équivalent de ce que nous avons réalisé sur l’ensemble de l’année 2016 ! », assure le directeur de l’association, Jean-François Ploquin. L’ONG pré-enregistre leur demande d’asile dans la région, mais les deux tiers ne se rendent pas au rendez-vous en préfecture. Ils préfèrent continuer leur route. Direction la région parisienne, où les structures d’accueil sont concentrées, ou le Royaume-Uni.

Jean-Baptiste François