Titre

Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde

Auteur

Sous la direction de : Jean-Michel di Falco, Timothy Radcliffe et  Andrea Riccardi Coordonné par : Samuel Lieven

Type

livre

Editeur

XO Editions, octobre 2014

Nombre de pages

814 p.

Prix

24,90 €

Date de publication

16 mars 2015

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Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde

Voilà un ouvrage impressionnant comme un monument. D’abord au sens de mémorial : il est écrit pour le souvenir de ceux qui, aujourd’hui, souffrent et meurent parce que chrétiens. Et puis, ouvrage monumental par ses dimensions, le vaste panorama exploré, son tour du monde quasi exhaustif, la diversité de ses rédacteurs et de leurs propositions.

Pour en venir à bout, il a fallu deux années de travail et pas moins de 70 contributeurs de 17 nationalités différentes. Ils sont une majorité de chrétiens de toutes obédiences (catholiques, protestants, anglicans, orthodoxes, arméniens, chaldéens…) mais aussi juifs, musulmans, athées, hindouistes. Au fil des pages alternent les analyses sociologiques, géopolitiques, théologiques, les reportages de terrain, les récits de témoins ou de survivants. On perçoit l’intention de mieux faire comprendre les réalités des politiques internationales et d’apporter une perception plus concrète des situations vécues. Les témoins donnent chair aux constructions intellectuelles.

À aucun moment, on ne se sent cependant pris au piège d’une revendication identitaire. Rien qui ne s’apparente à des positions victimaires ou larmoyantes. On n’y dénonce pas le « mal » qui serait incarné par « l’autre ». En ce sens, il n’y a ni intention polémique, ni apologétique, rien qui s’apparenterait au « choc des civilisations », ce que suggère malencontreusement le bandeau de l’éditeur : « Une civilisation en péril ? »

Au contraire, les analyses sont plus nuancées. S’il est vrai que les chrétiens sont touchés dans le monde entier, ils ne le sont pas partout de la même façon ni pour les mêmes raisons. Le monde arabo-musulman et le Proche-Orient, en cette année de parution, occupent la moitié du livre c’est dire qu’il intéresse Chrétiens de la Méditerranée. La montée d’un islam politique, l’éradication systématique des populations autochtones chrétiennes, assimilées à l’Occident, montrent à l’évidence le retour d’une barbarie tribale et primitive. Mais en Corée du Nord, les chrétiens sont emprisonnés ou liquidés pour refus de rendre un culte au Grand Leader d’un pays qui se dit encore communiste. Et en Amérique Latine, les trafiquants de drogue et les profiteurs des paysans pauvres font de même parce que les chrétiens les gênent dans leurs entreprises criminelles. Il est donc opportun de bien identifier les raisons politiques, sociétales ou religieuses qui peuvent entraîner soit une simple malveillance, soit des discriminations, soit des persécutions proprement dites. Tous ces cas de figure – et bien d’autres – se retrouvent dans les témoignages.

Cela dit, au-delà des faits et des informations, le livre propose de nombreuses pistes de réflexion : l’identité chrétienne, la foi, l’évangélisation, et surtout les rapports entre pouvoir civil et religion. Une dictature ou une théocratie, c’est toujours la négation de l’homme dans son individualité et sa liberté de conscience. Il est opportunément rappelé que l’Église chrétienne s’est retrouvée en position de force dans son histoire et qu’elle se rangeait alors du côté des persécuteurs. Avec la mondialisation et son corollaire, la sécularisation, aucun peuple ni aucune religion ne peut aujourd’hui revendiquer une telle hégémonie. Certains l’ont compris, d’autres pas encore. Certains instrumentalisent la religion pour leur pouvoir, d’autres manipulent l’un contre l’autre. La « déformation de la religion », comme Timothy Radcliffe qualifie le fondamentalisme, contribue à brouiller les pistes, tel le rôle néfaste de certaines communautés évangéliques prosélytes rencontrées dans le livre, et naturellement le djihadisme musulman. La mondialisation est un fait irréversible. Elle s’inscrit même dans la logique d’un christianisme dès le départ universel. Si l’incarnation a encore un sens, cela signifie qu’aujourd’hui comme hier, le chrétien est un témoin de la Bonne Nouvelle de Jésus pour tous les hommes. Faut-il s’étonner que « témoin » et « martyr » aient la même étymologie grecque ? Il reste à aménager cette mondialisation pour qu’elle tende à se conformer à l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en commun, tant en public qu’en privé. »

Avec ses multiples informations, qu’on ne trouverait que dispersées dans une presse souvent spécialisée, avec son œcuménisme diffus, qui n’évoque que des « chrétiens » sans leurs appartenances héritées de l’histoire, ce livre « monument » est essentiel pour jalonner la difficile marche de l’humanité vers une cohabitation planétaire régie par les Droits de l’Homme et la démocratie. Alors que, depuis sa parution en octobre 2014, certaines situations se sont encore aggravées… il restera une référence et il fera date, même si l’on sait que l’histoire n’est pas terminée.

Claude Popin

 

Livre noir : dix-huit mois d’aventure
Témoignage de Luc Balbont, un des 70 contributeurs, membre de CDM

Sur la qualité du Livre : motus ! Coauteur de l’ouvrage, il m’est difficile d’être à la fois juge et partie.

J’ai donc choisi de vous raconter, en quelques mots l’aventure du  « Livre noir », vécu auprès de Samuel Lieven, celui que la couverture de l’ouvrage nomme coordonnateur, véritable homme-orchestre de ces 800 pages.

En dix-huit mois de labeur, aidé par une équipe d’éditeurs soudée et compétente, Samuel a pu réunir 70 contributeurs : enseignants, experts, religieux, diplomates, journalistes de 17 nationalités différentes, issus des 5 continents.

Plus de 800 courriers envoyés, et autant d’appels téléphoniques. Des voyages à Londres, à Rome, au Caire, au Pakistan, en Terre sainte, au Liban ; des relances multiples, des moments de découragement et d’enthousiasme alternés.

J’ai eu la chance de vivre au jour le jour ce parcours, de sa genèse à sa publication. Collègue et ami de Samuel, j’ai entendu ses angoisses sur des  textes promis qui n’arrivaient pas ; des reportages trop longs qu’il fallait couper au grand dam des auteurs ; des analyses « abstraites » d’universitaires spécialisés, à qui Samuel demandait d’écrire plus simple  pour être compris du grand public ; des témoignages  hors sujet et impubliables. Ce qui provoquait avec les signataires des face-à-face parfois tendus.

Et puis aussi des textes remarquables qui vous rendent intelligent, et vous éclaire immédiatement. Quel bonheur de  lire avant tout le monde la contribution de ce philosophe athée, de découvrir celle d’un grand vaticaniste américain, de se plonger dans les pages de ce journaliste italien décrivant sa vie d’otage aux mains des djihadistes syriens. Ou de « rentrer » dans la pensée de ce religieux britannique, ancien Maître général des dominicains.

Cette aventure m’a redonné le goût de l’étude, l’envie de me replonger dans l’histoire de nos Eglises, de retravailler les fondamentaux et les périodes clés de l’histoire du christianisme et des autres  religions, de lire des textes oubliés, de mieux connaitre l’œuvre des intervenants, de m’élever et de préparer ma vie d’aujourd’hui.

Âgé de 66 ans, je ne suis plus reporter, salarié régulier d’un journal, mais grâce au « Livre noir » je continue, entre Beyrouth, Alger et Paris, à travailler sur les chrétiens d’Orient, avec l’envie d’affirmer et de transmettre la richesse humaine universelle de ces premières Églises…  « Livre noir » ! Quel curieux titre pour ces pages qui m’ont redonné la force d’entreprendre une seconde vie.

Luc Balbont
Correspondant à Beyrouth du quotidien francophone algérien Liberté