Recension

Titre

Nous ne sommes plus seuls au monde

Sous titre

Un autre regard sur l’ « ordre international »

Auteur

Bertrand Badie

Type

livre

Editeur

Paris : La Découverte, 2016

Collection

Cahiers libres

Nombre de pages

237

Prix

13,90

Date de publication

4 avril 2017

Nous ne sommes plus seuls au monde

 

« On ne peut pas raser la tête de quelqu’un en son absence »… En plaçant son dernier essai de politique internationale sous les auspices de ce proverbe bambara, Bertrand Badie[1] veut signifier la fin de la diplomatie traditionnelle : celle du club oligarchique des grandes puissances. Le prétendu « ordre international » est désormais « transnational », remodelé par des comportements sociaux inédits, autour d’enjeux principalement socio-économiques. L’auteur articule dans cet essai deux thèmes déjà exposés : ce qu’il appelle «  la diplomatie de connivence[2] », titre d’un ouvrage publié en 2011, et la place désormais prééminente des sociétés dans les grandes questions de sécurité internationale, un aspect étudié dans Le Temps des humiliés[3] (2014) et Un Monde de souffrances[4] (2015).

Il rappelle dans les deux premiers chapitres comment se sont constitués, dissous, puis partiellement reconstitués, des systèmes de relations internationales fondés sur l’équilibre des puissances, des phénomènes de clubs et de polarités, les pays les plus faibles devant rechercher des « protecteurs » dont ils essaient par ailleurs de se libérer, au gré d’alliances et de contre-alliances instables.

Un troisième chapitre propose une analyse pertinente des « sociétés et de leurs diplomaties ».  Ce ne sont plus seulement les Etats (193 à ce jour) mais 7 milliards d’acteurs qui sont désormais concernés par les questions internationales. Sous l’effet des technologies de communication et d’information et de la mondialisation économique, les populations du globe sont mises en contact et en synergie les unes avec les autres. La sécurité des uns dépend de celle de tous. « La socialisation des enjeux mondiaux bouleverse complètement les catégories familières des relations internationales : on passe de la souveraineté à l’interdépendance, du primat de la puissance au rôle déstabilisateur de la faiblesse, de la territorialité à la mobilité, de la lecture clausewitzienne de la guerre, fondée sur un choc d’Etats, à une conflictualité davantage liée à la décomposition des sociétés » (p.94).

Les trois derniers chapitres évoquent les principaux conflits actuels au regard des traitements diplomatiques dont ils ont été l’objet. B. Badie  insiste sur les erreurs d’analyse et de stratégie de la diplomatie internationale dont les instruments traditionnels, civils et militaires, sont inadaptés pour traiter les causes profondes des conflits : décomposition d’Etats faibles ou inexistants, sociétés exaspérées par les dictatures, la corruption, le sous-développement, populations tentées par des replis identitaires et sécuritaires.

En conclusion, l’auteur en appelle à une « politique d’altérité » fondée sur la reconnaissance de la parité des destins humains, une politique qui soit capable de prendre en compte le bien commun des sociétés et sache leur reconnaitre le droit de participer à la gestion des crises qui les frappent.

L’analyse de B. Badie paraît particulièrement appropriée pour penser l’effet des crises du bassin méditerranéen sur la sécurité de la France : on comprend à le lire combien sont contreproductives et dangereuses des politiques recourant à la force militaire, protégeant des régimes injustes, et pensant résoudre la question des migrations et du terrorisme par la fermeture des frontières et l’instauration de l’état d’urgence.[5]

 Laure Borgomano

 

[1] Bertrand Badie, professeur des universités à l’IEP de Paris (Sciences Po), s’est imposé comme l’un des meilleurs experts en relations internationales. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages qui font référence et conseiller de la rédaction de L’état du monde depuis une vingtaine d’années.

 

[2] La diplomatie de connivence : les dérives oligarchiques du système international.- La Découverte, rééd. 2013.- (Poche/Essais : n°391) : http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_diplomatie_de_connivence-9782707177773.html

 

[3] Le temps des humiliés : pathologie des relations internationales.- O. Jacob, 2014 : http://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/temps-des-humilies_9782738130907.php

 

[4] Un monde de souffrances : ambivalence de la mondialisation.- Salvator, 2015 : http://www.editions-salvator.com/A-23871-UN-MONDE-DE-SOUFFRANCES.-AMBIVALENCE-DE-LA-MONDIALISATION.aspx

 

[5] On pourra regarder la video ou écouter la conférence que Bertrand Badie a donnée à la BM de Lyon, le 12/05/2016, à propos de Nous ne sommes plus seuls au monde : https://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=889 (durée : 1h38).