Recension

Titre

C’était hier, en Algérie …

Sous titre

De l’Orient à la République, une histoire des Juifs d’Algérie.

Auteur

Benjamin Stora

Type

livre

Editeur

Larousse, 2016

Nombre de pages

190

Prix

25 €

Date de publication

22 février 2017

C’était hier, en Algérie …

 

 

Original et exceptionnel : on n’hésitera pas à qualifier d’emblée ce livre qui allie tout à la fois la rigueur intellectuelle de l’historien, l’émotion vécue et l’esthétisme empreint de nostalgie. Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire du Maghreb et de l’immigration, sait de quoi il parle : il est issu d’une famille juive de Constantine. Et il est l’auteur, avec son collègue algérien Mohammed Harbi, d’une magistrale histoire de La guerre d’Algérie (Livre de Poche – Pluriel, 2010) écrite en duo[1].

L’histoire d’abord. La présence des Juifs en Algérie remonte sans doute à l’arrivée des Phéniciens qui fondent Carthage en terre berbère. Elle se maintiendra sous les Romains, dans l’ « Ifriqya » chrétienne, puis musulmane, se renforçant même avec les coreligionnaires expulsés d’Espagne après 1492.

Lors de l’occupation française en 1830[2], juifs et musulmans cohabitent : mêmes vêtements, même langue, mêmes usages. Mais les 25000 Juifs que compte alors la communauté vont être bousculés par l’octroi de la nationalité française du décret Crémieux de 1870. Les résultats seront d’abord une forte poussée de l’antisémitisme, puis une européanisation plus rapide que celle des musulmans (abandon du costume traditionnel et de la langue arabe, scolarisation en français, service militaire obligatoire, etc.) Blessés par le retrait de la nationalité française sous Pétain en 1940, (ils ne la retrouveront qu’en 1943,) certains Juifs soutiendront activement la lutte pour l’indépendance de 1954 à 1962.

Mais la nouvelle Algérie, qui se construit alors sur des bases ethniques et confessionnelles, ne leur laisse pas la place qui leur avait été promise. Ils grossiront les rangs des  rapatriés « pieds-noirs » en métropole ou vers Israël et, depuis 1970, il n’y a presque plus de Juifs en Algérie (les derniers partiront en 1994).

Benjamin Stora ne se contente pas de nous raconter cette histoire qu’il a vécue avec sa famille. D’ailleurs son texte est court et dense. Il va à l’essentiel quant au savoir. Mais il offre au lecteur ce que les mots ne peuvent exprimer : c’est l’émotion et la nostalgie ressenties en feuilletant un vieil album-photos de famille. Des cartes, des fac-similés, des documents, mais surtout plus de 150 photographies ou reproductions de paysages, de rues et de places, de bâtiments disparus et, le plus souvent, de personnages aux airs empruntés et figés tellement en vogue au début du XXe siècle.

L’iconographie révèle, mieux que les discours, la lente évolution de cette société entre tradition et modernité. On y découvre parfois, sur un même cliché, des familles rassemblées, avec les vieux parents en costumes « arabes » et les jeunes générations déjà vêtues à « l’européenne », les vestons se substituant aux djellabas et les canotiers arborés remplaçant les chèches.

On découvre aussi une société sortant peu à peu de la pauvreté et de la misère des villages pour évoluer vers une urbanisation de plus en plus envahissante. Benjamin Stora réalise ainsi un vrai travail d’archives, n’hésitant pas à introduire des clichés personnels et familiaux : le conteur est aussi l’acteur.

Qu’on ne recherche pas ici la débauche de couleurs de nos magazines modernes. Sur papier fort, brun et jaune, toutes les photos sont en noir et blanc, ou de cette couleur sépia, si caractéristique jusque dans les années 1960. La facture même du livre contribue à renforcer la nostalgie. Grand format, reliure soignée, épaisse couverture cartonnée : c’est le type même du « beau livre » qu’on a envie de recevoir en cadeau et de conserver précieusement comme témoin du passé. Ou plutôt, du « passage » (en hébreu : Pessah, la Pâque). Car, écrit l’auteur :

« De 1870 à 1962, en moins d’un siècle, la communauté a été déplacée plusieurs fois, hors de la tradition juive en terre d’islam, hors de la communauté française de 1940 à 1943, hors de la terre algérienne en 1962. Exil intérieur, exil extérieur, qui les a conduits à se dégager d’un monde ancien, à se libérer, mais aussi à se protéger ». Ce livre est sans doute aussi une protection contre l’oubli[3].

 

Claude Popin

 

[1] http://www.fayard.fr/la-guerre-dalgerie-9782818500286

[2] Benjamin Stora était l’invité de France Info, le 16/02/2017 : il s’est exprimé sur la colonisation de l’Algérie par la France : http://www.francetvinfo.fr/monde/algerie/le-debat-sur-la-colonisation-est-tres-fort-dans-les-banlieues_2062627.html (durée : 4,37 mn). Il a contribué au Dictionnaire de la colonisation française / sous la dir. de Claude Liauzu.-Larousse, 2007 : http://www.editions-larousse.fr/dictionnaire-de-la-colonisation-francaise-9782035833433

[3] Benjamin Stora est président du Musée national de l’histoire de l’immigration, on pourra écouter son intervention,

le 14/10/2016, sur L’histoire de l’immigration algérienne en France au colloque de rentrée du Collège de France,   qui portait sur Migrations, réfugiés, exil :

http://www.college-de-france.fr/site/colloque-2016/symposium-2016-10-14-11h15.htm   (durée : 26 mn).