Recension

Titre

1916 en Mésopotamie            

Sous titre

Moyen-Orient, naissance du chaos

Auteur

Fabrice Monnier

Type

livre

Editeur

Paris : CNRS Editions, 2016

Nombre de pages

336 pages

Prix

25 €

Date de publication

11 juillet 2017

1916 en Mésopotamie

 

La Mésopotamie, en ce début de XXe siècle, est une province oubliée de l’immense empire ottoman : les transports ferroviaires sont quasi inexistants, les routes, peu nombreuses sont mal entretenues. Bagdad n’est qu’une ville poussiéreuse à l’aspect moyenâgeux où aucun fonctionnaire ottoman ne veut être muté ; mais elle reste pour tous les musulmans, arabes et turcs, un centre religieux de première importance.

La Grande Bretagne s’est dotée en 1906 de navires de combat de type dreadnought qui fonctionnent au charbon. Pour assurer sa supériorité face à la flotte allemande, l’Amirauté décide que ces monstres d’acier utiliseront pour combustible le fioul au lieu du charbon, ce qui accroît leur autonomie. Contre une partie de l’état-major de la marine, Winston Churchill, Premier lord de l’Amirauté, partisan de ce mode de propulsion pousse à prendre une participation dans le capital d’une compagnie de pétrole.

En juillet 1913, il prononce à la Chambre des Communes un discours enflammé qui convainc ceux qui hésitaient encore : « Sans pétrole, l’Angleterre ne recevra plus ni maïs ni coton ni toute autre matière nécessaire au fonctionnement de son économie. L’Amirauté doit pouvoir contrôler le pétrole à la source ; elle doit pouvoir extraire, raffiner et transporter le pétrole ». En mai 1914, une loi autorise l’État à investir dans l’Anglo-Persian Oil Company fondée en 1909 pour exploiter la concession d’un vaste gisement pétrolier à Masjed Soleiman (en Perse) prolongé par la raffinerie d’Abadan à l’embouchure du Chatt-el-Arab.

Londres n’est pas anti ottomane, l’empire agissant comme un tampon avec les puissances rivales françaises et russes. Mais dès octobre 1914, les anglais sont conscients que les installations d’Abadan doivent être protégées pour assurer l’approvisionnement de la marine britannique en fioul. Aussi le 6 novembre les Anglais débarquent à Fao (Al Faw) sur le golfe Persique ; le 21, Bassora est prise ; puis progressivement ils occupent le Chatt-el-Arab.

En avril 1915, il est décidé de marcher sur Bagdad. Le 29 septembre ils s’emparent de Kut-el-Amara. Le 26 octobre, l’armée britannique arrive au contact de l’armée ottomane : ce sera la bataille de Ctesiphon, au résultat très indécis. Le 26 novembre, ordre est donné de se replier sur Kut-el-Amara, immédiatement encerclée par les ottomans, sous le commandement de Nureddin bey. Le siège commence : durant cinq mois, soldats et officiers, anglais et cipaye subiront le froid glacial de la nuit, des températures montant jusqu’à 50° le jour, les mouches, les moustiques, la puanteur, la faim et la soif. Il se terminera par une reddition sans conditions ; plus de13 000 prisonniers partiront pour l’Anatolie où ils subiront une détention abominable.

Pourquoi cette humiliante défaite ? Oubliant pourtant la leçon des Dardanelles, le commandement britannique avait un profond mépris pour l’armée ottomane et ses généraux. L’arrogance de certains officiers supérieurs, l’impréparation, « les idées préconçues, fragmentaires et souvent fausses sur la Mésopotamie » explique ce camouflet.

Tout ça pour ça, pourrait-on dire. En effet, la prise de Bagdad, qui se fera en mars 1917, aura employé, depuis le début du conflit mésopotamien, 400 000 combattants et 490 000 non combattants, sans aucun doute plus utiles ailleurs… Mais les Anglais voyaient plus loin : sur la base de rapports secrets ils soupçonnaient que le sous-sol de la Mésopotamie pouvait renfermer de grandes quantités de pétrole.

1916 en Mésopotamie, de Fabrice Monnier[1] est un livre d’histoire mais il se lit comme un roman. Il fourmille de détails, d’anecdotes ou de portraits complétés par des notes substantielles en fin de livre.

On peut seulement regretter que l’auteur, ayant donné comme sous-titre à son livre Moyen-Orient : naissance du chaos, n’ait pas développé dans une conclusion les incidences de cette guerre sur l’instabilité future et présente du Moyen-Orient.

Francis Labes

 

[1] Historien, spécialiste de l’Empire ottoman, Fabrice Monnier est notamment l’auteur d’Atatürk : naissance de la Turquie moderne.- CNRS Éditions, 2015.