Libération – Nouveau naufrage en Méditerranée, 700 morts possibles

Le naufrage d’un chalutier chargé de passagers tentant de rejoindre l’Europe, cette nuit au large des côtes libyennes, pourrait avoir fait jusqu’à 700 morts. Le bateau a chaviré à environ 110 km des côtes libyennes avec à son bord plus de 700 personnes, selon le récit de 28 survivants récupérés par un navire marchand portugais, a indiqué à la télé italienne Carlotta Sami, porte-parole du HCR en Italie, qui a précisé que si ces chiffres étaient confirmés, il s’agirait de la «pire hécatombe jamais vue en Méditerranée». Seuls vingt-quatre cadavres ont été récupérés pour l’instant, selon les garde-côtes italiens, qui précisent que le chalutier avait une «capacité de plusieurs centaines de personnes». 

Le chalutier a lancé dans la nuit de samedi à dimanche, vers minuit, un appel au secours reçu par les garde-côtes italiens qui ont aussitôt demandé à un cargo portugais de se dérouter. A son arrivée sur les lieux, à environ 220 km au sud de l’île italienne de Lampedusa, l’équipage a vu le chalutier chavirer, selon le HCR. C’est probablement quand les 700 migrants à bord se sont précipités tous du même côté à l’arrivée du cargo portugais que le drame est survenu, a encore dit Carlotta Sami.

Une importante opération de secours a été mise en place avec le concours des marines italienne et maltaise, a indiqué à l’AFP un porte-parole de la marine maltaise. Le pape François a appelé, depuis la place Saint-Pierre, à «agir avec décision et rapidité» face à la multiplication des tragédies en Méditerranée, déclarant: «Les migrants sont des hommes et des femmes comme nous». François Hollande, invité de l’émission Le Supplément sur Canal +, a déclaré : «Il faut renforcer le nombre de bateaux et de survols dans le cadre l’opération Triton, et faire une lutte plus intense contre les trafiquants. Ceux qui mettent des gens sur les bateaux, ce sont des terroristes car ils savent parfaitement que ces bateaux sont pourris».   

De son côté, l’Union européenne a déclaré vouloir «prendre le problème à bras le corps», et «continuer à travailler sur les causes profondes de l’immigration et particulièrement sur l’instabilité dans la région, de l’Irak à la Libye». 

«La route la plus dangereuse du monde»

Les drames se téléscopent ces derniers jours. Dimanche dernier, un naufrage dans le détroit de Sicile aurait provoqué la mort de 400 clandestins. Plus qu’à Lampedusa, en octobre 2013, où on avait dénombré 366 cadavres. Mais moins qu’en septembre 2014, au large de Malte, où 500 migrants mouraient noyés : leur bateau avait été volontairement coulé par des passeurs, d’après le récit de la dizaine de survivants. La Méditerranée est chaque jour plus dangereuse. Depuis le début de l’année, 900 réfugiés ont péri en Méditerranée, d’après par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), contre 47 pendant la même période en 2014. Même si, selon le HCR, «le phénomène des migrants et des réfugiés arrivant par la mer, risquant leur vie sur des embarcations de fortune, n’est pas nouveau» (lire la brochure Sauvetage en mer, guide des principes et des mesures qui s’appliquent aux migrants et aux réfugiés»), la Méditerranée est devenue «la route la plus dangereuse du monde». 

L’alarmante hausse des morts en mer coïncide avec à la disparition du dispositif Mare Nostrum, en octobre. Mis en place par la marine italienne suite à l’émotion suscitée par le naufrage près de Lampedusa en 2013, il a permis le sauvetage de 150 000 personnes en un an, mais au prix de 9 millions d’euros par mois : une facture jugée trop lourde pour Rome, guère aidée par ses partenaires européens. Mare Nostrum a donc cédé la place à Triton, un dispositif plus léger encadré par Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, et auquel participent dix pays (dont la France). Il en coûte 2,9 millions mensuels pour 21 bateaux mobilisés, contre 32 auparavant.

Le business des mafias en Libye

Pour expliquer leur peu d’enthousiasme à financer Mare Nostrum, les Etats européens disaient redouter un «appel d’air», conséquence du filet de sauvetage italien : sachant la traversée plus sûre, les populations auraient afflué en masse vers les côtes libyennes. C’est ignorer que les motivations des candidats à l’immigration sont liées à l’actualité : guerre civile en Syrie, désespoir des Erythréens soumis à la dictature d’Issayas Afewerki, président à vie depuis vingt-deux ans, Somaliens fuyant le chaos ou Nigérians chassés par Boko Haram.

L’accumulation de ces drames fait les affaires des mafias en Libye. Frontex dénonçait, lundi, la récupération par des passeurs armés, avec tirs d’intimidation à la clé, d’un bateau dont les occupants venaient d’être secourus par un remorqueur islandais. Selon le Français Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex, l’épisode «prouve que les trafiquants sont à court de bateaux, et qu’ils n’hésitent plus à employer des armes pour récupérer leurs embarcations».

Des drames qui en entraînent d’autres : la semaine dernière, des chrétiens auraient été jetés à l’eau par des musulmans en pleine traversée de la Méditerranée, selon plusieurs témoins. L’affrontement se serait produit en pleine nuit, alors qu’un canot pneumatique, avec à son bord 105 personnes, commençait à se dégonfler. Douze migrants seraient morts noyés dans cette guerre de religion en pleine mer. Une enquête a été ouverte par la police italienne.