L'Humanité – Avraham Burg : « Aujourd’hui, en Israël, le sionisme est un outil de discrimination »

Entretien L’ancien président travailliste de la Knesset et ex-président de l’Agence juive mondiale a rejoint le mouvement Haddash et appelle à voter pour la liste judéo-arabe, baptisée Liste commune. 

Jérusalem, envoyé spécial.  

Pensez-vous que ces élections vont marquer un changement dans la société israélienne ?

Avraham Burg Les élections ­expriment la réalité contemporaine. Mais tout est plus long que les mandats donnés par un vote. Il y a un changement profond au sein de la société israélienne. Les partis ne sont plus les mêmes. Tout bouge ici, comme un continent. Comment cela finira-t-il ? Difficile à dire. Mais, il y a encore un an, personne ne donnait la moindre chance à quelqu’un comme Isaac Herzog, de l’Union sioniste. ­Netanyahou est ­hystérique. J’ai l’impression – et que cela arrive cette fois-ci ou à la prochaine élection – que la profonde frustration de la société israélienne, fatiguée de ne pas avoir d’espoir, qui en a marre d’être désespérée, d’être sacrifiée économiquement à cause d’un Iran virtuel (allusion à la campagne de Netanyahou – ndlr), marque un fait : le temps de Netanyahou est terminé.

Vous avez vous-même été président de la Knesset, en tant que travailliste. Ce Parti travailliste est aujourd’hui allié à Tzipi Livni et n’apparaît plus sous son nom mais comme « Union sioniste ». Ce qui fait dire à certains qu’il n’y a plus de gauche en Israël. Que s’est-il passé ?

Avraham Burg Quand on dit « gauche » en France, on associe cela à des idées bien précises sur l’égalité entre les citoyens, la laïcité, une redistribution des richesses… Mais, en Israël, la définition de gauche se fait à partir d’un positionnement pour ou contre une solution avec les Palestiniens. Vous pouvez donc trouver quelqu’un comme Tzipi Livni, qui est ultralibérale dans le domaine économique, mais qui veut un arrangement avec les Palestiniens. On la situe à gauche alors que sur toutes les autres valeurs, elle en est loin. Herzog est un travailliste, mais vraiment conservateur. Il n’est pas de gauche. La seule liste aujourd’hui qui a le potentiel pour devenir une alternative démocratique de gauche, c’est la Liste commune (formée de tous les partis arabes et des communistes – ndlr). Je ne sais pas si ce potentiel existant va se transformer en une véritable alternative. Herzog représente une vision plus agréable que celle de Netanyahou. Il n’y a pas d’alternative, sur aucun plan. Quand Herzog appelle sa liste « Union sioniste », ça sonne très patriotique. Mais quand vous écoutez avec des oreilles israéliennes, cela signifie « pas d’Arabes ».

Est-ce à dire que la notion même de sionisme est un problème ?

Avraham Burg Nous sommes un pays qui adore catégoriser les gens : religieux, non religieux, ashkénazes, séfarades, ­sionistes, post-sionistes, sionistes malgré eux… Le sionisme a été un mouvement national gagnant pour les juifs qui a créé une révolution fantastique dans l’existence juive, a donné naissance à une horrible tragédie pour les Palestiniens et a expiré en 1948. Le but du sionisme a été de transformer le peuple juif d’une structure de diaspora en une structure souveraine. Cela n’a été qu’un échafaudage. À partir de 1948, nous aurions dû n’être que des Israéliens, quelle que soit l’origine. Mais si ce n’est pas suffisant et que vous avez besoin du sionisme pour définir quelque chose, cela signifie que vous discriminez quelqu’un. Oui, ­aujourd’hui, en Israël, le sionisme est un outil de discrimination.

Vous portez une kippa, mais vous dites maintenant ne plus croire en dieu. Cela est-il dû à votre expérience en Israël ou à une évolution philosophique de votre pensée ?

Avraham Burg Cela vient de ma vie en Israël, de moi-même et de mon engagement avec le monde. Je suis né dans un système orthodoxe en Israël. Le ­judaïsme n’est pas une religion. C’est une culture. La religion a été une partie centrale de la judaïté. Mais seulement une partie. Le fait d’être juif n’est pas un choix de dieu. Y a-t-il quelque chose au-delà de mon existence ? Je n’en sais rien et je ne le saurai jamais. Mais ça ne m’intéresse pas. Je suis intéressé par ma vie d’être humain. Je suis un juif accidentel. Si ça n’avait tenu qu’à moi, je n’aurais pas subi la circoncision ni célébré ma bar-mitsva. Mais le monde n’est pas accidentel, pas plus que l’humanité ou que les valeurs. J’essaie d’appréhender le monde à travers ma subjectivité. Comme vous. Et, tous ensemble, nous créons une mosaïque mondiale. Être juif est un profond engagement culturel. Ce n’est pas dieu qui est au centre, mais l’être humain.

Quelle est la signification de la volonté de Netanyahou de définir Israël comme un État juif ?

Avraham Burg C’est un vide théorique. En réalité, c’est impossible. Quelle est la source de l’autorité dans une société ­démocratique ? Les citoyens. Mais, pour les tenants d’un État juif, la source de l’autorité est dieu pas les hommes. ­Aucune société, aucun État ne peut vivre avec deux sources d’autorité aussi contradictoires. C’est pour cela que c’est une ­déclaration vide et dangereuse. Il faut un État d’Israël véritablement laïque.

C’est aussi pour cela que vous avez décidé de soutenir la Liste commune ?

Avraham Burg Exactement. C’est le seul comportement possible pour quelqu’un qui pense que la citoyenneté est la façon d’organiser la société.