Le Point – Tunisie : les assassins du Printemps arabe

“Les Tunisiens n’ont pas d’antécédent avec le terrorisme. (…) Ils ne peuvent pas résoudre efficacement ce problème tout seuls.” Le président Béji Caïd Essebsi ignorait sans doute que les événements lui donneraient aussi rapidement raison alors qu’il prononçait ces paroles le mois dernier. L’attaque menée contre le musée du Bardo, le Louvre de Tunis, a fait au moins vingt-deux morts dont vingt touristes étrangers, selon le ministre du Tourisme tunisien. 

Revers de la médaille, le terrorisme islamique n’est réellement apparu dans le pays qu’au lendemain de ce Printemps arabe, dont la Tunisie a précisément été l’initiatrice, il y a quatre ans. Après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, le quadrillage de la société s’est relâché, les portes des prisons se sont ouvertes et nombre d’activistes radicaux ont repris le chemin de la clandestinité pour tenter d’imposer leur théocratie.

Le changement de régime n’a pas entamé leur détermination, loin de là. Leur volonté d’abattre la jeune démocratie tunisienne est d’autant plus grande que celle-ci constitue à ce jour la seule success-story de la région. La Libye post-Kadhafi est devenue un non-État livré aux milices, l’Égypte vit aujourd’hui sous un régime militaire après l’intermède calamiteux des Frères musulmans, la Syrie entre dans sa cinquième année de guerre civile ; le contraste avec la Tunisie, qui a élu démocratiquement un président et un Parlement l’an dernier, n’en est que plus criant.

Un terrorisme diffus, infiniment plus difficile à éradiquer

Le danger est d’autant plus grand que les tenants du djihad se sont multipliés de façon presque exponentielle. Longtemps, la menace s’est limitée à l’organisation Ansar al-Charia et à la Phalange Okba Ibn Nafaâ, un groupe essentiellement actif dans les montagnes qui marquent la frontière avec l’Algérie. Et leurs actions étaient ciblées, visant des policiers ou des militaires (une cinquantaine de morts depuis la révolution), ou encore des personnalités politiques laïques comme Chokri Belaïd ou Mohamed Brahmi, tous deux assassinés en 2013.

Désormais, la Tunisie doit faire face à un terrorisme diffus, infiniment plus difficile à éradiquer. Selon une estimation récente, environ 3 000 jeunes Tunisiens, pour la plupart des laissés-pour-compte du Printemps, sont partis combattre en Syrie, en Irak ou en Libye. Le ministère de l’Intérieur estime que plusieurs centaines d’entre eux sont déjà rentrés au pays après avoir fait allégeance à l’État islamique ou à Al-Qaïda, et représentent autant de terroristes en puissance.

Et, cette fois, la cible est également d’une autre nature. En tentant de tuer un maximum de touristes, le commando du Bardo cherchait évidemment à tuer le tourisme, principal secteur d’activité du pays, et avec lui la jeune et fragile démocratie tunisienne.