Le Monde – Proche-Orient : la lettre de Fillon, Juppé et Raffarin à Hollande

Le Proche-Orient brûle et l’Europe regarde ailleurs. Tous les fragiles équilibres de cette région sont remis en cause. Les Etats-Unis et la Russie y ont perdu une grande partie de leur influence. De nouvelles puissances émergent : l’Iran, la Turquie. Les Etats arabes sont affaiblis par les désordres qui affectent leurs sociétés. Il en résulte une résurgence du conflit religieux entre chiites et sunnites avec ses conséquences dramatiques sur les minorités chrétiennes d’Orient. Le conflit israélo-palestinien est dans une impasse sanglante à Gaza.
L’Europe n’a pas seulement le devoir d’intervenir, c’est son intérêt : nous avons, depuis cinq siècles, une mission de protection des chrétiens d’Orient que nous devons assumer. Le cratère ouvert en Syrie et celui de l’Irak nourrissent une menace terroriste franco-européenne qui, demain, peut avoir des conséquences redoutables sur la sécurité de notre pays et de l’Europe. Enfin, la zone est capitale pour notre sécurité énergétique.

UN ENGAGEMENT MASSIF NÉCESSAIRE

Depuis deux ans, la politique étrangère française oscille au Proche-Orient entre passivité et suivisme. Celle de l’Europe y est illisible. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être des spectateurs engagés devant le drame qui se noue sous nos yeux : nous devons répondre sans attendre aux urgences humanitaires à Gaza comme en Irak.

En effet, il est fait état de 200 000 personnes, essentiellement de confession chrétienne, qu’il convient de secourir d’urgence au Kurdistan irakien.

Les initiatives de la France et de la Grande-Bretagne vont dans le bon sens, mais elles sont insuffisantes. C’est un engagement massif de l’Union européenne qui est nécessaire et c’est maintenant ! La question de l’accueil des réfugiés de ce conflit dans nos pays doit être résolue collectivement. Notre soutien aux actions militaires pour stopper l’avance des djihadistes doit être sans ambiguïté. Enfin, nous devons tenir compte des nouveaux équilibres géopolitiques et associer la Turquie, l’Iran et les pays du Golfe à la résolution de cette crise.

Seuls les chefs d’Etat et de gouvernement peuvent donner à la diplomatie européenne la légitimité et la force nécessaires pour agir. Seul l’engagement des chefs d’Etat et de gouvernement peut permettre d’engager le dialogue régional sans lequel aucune solution ne pourra émerger.

La trêve estivale ne saurait être un obstacle à une mobilisation générale des Européens sans laquelle les drames que vivent les chrétiens d’Irak, de Syrie et les populations civiles de Gaza risquent de devenir les détonateurs d’une grave crise mondiale qui affectera durablement notre avenir commun. La tentation de la violence et de la guerre naît de la faiblesse de la diplomatie. Le retour à une diplomatie singulière, non alignée, mais entraînante, notamment pour l’Europe, reste pour la France la manière d’assumer sa mission.

TRAGÉDIE À NOS PORTES

Aujourd’hui, monsieur le Président, face aux urgences de la scène internationale, la France, pour faire entendre sa voix, doit avoir l’audace de l’initiative et demander la réunion sans délai d’un conseil européen extraordinaire, et proposer à l’ordre du jour de réaffirmer l’exigence d’un cessez-le-feu et d’un programme humanitaire pour les Palestiniens de Gaza, le déblocage immédiat d’un programme massif d’aide humanitaire aux populations déplacées en Irak, le soutien aux frappes américaines contre les djihadistes irakiens, une politique collective de fourniture d’armes aux combattants kurdes qui constituent le seul rempart contre le massacre des chrétiens d’Irak et la réunion d’urgence d’une conférence régionale associant notamment la Turquie, l’Iran et le Qatar, qui seuls peuvent encore stopper l’Etat islamique en Irak et au Levant.

L’opposition a plus que jamais un devoir de modestie. Et notre place exige sans doute beaucoup de mesure. Elle nous interdit autant de garder le silence. Parce que, face aux tragédies qui se déroulent sous nos yeux si ce n’est à nos portes, la France elle-même a le devoir de faire entendre sa voix. Au risque du déshonneur.

François Fillon, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin sont coprésidents de l’UMP par intérim.

Par François Fillon (ancien premier ministre), Alain Juppé (ancien premier ministre ) et Jean-Pierre Raffarin (ancien premier ministre)