Le Monde – Mgr Sako : « Il ne faut pas vider l’Irak de ses chrétiens »

Sa Béatitude Louis Raphaël Ier Sako est en France pour rencontrer les responsables politiques et parler de la situation des chrétiens d’Irak et notamment des réfugiés chrétiens irakiens accueillis par Paris. Né en 1948 à Zakho, en Irak, ordonné prêtre en 1974, il est depuis le 1er février 2013 le patriarche de Babylone des chaldéens. Parfaitement francophone, diplômé d’un doctorat en théologie de l’université de la Sorbonne, il a publié en 2015, avec Laurence Desjoyaux, Ne nous oubliez pas ! Le SOS du patriarche des chrétiens d’Irak (éditions Bayard). En septembre, il participera à Paris à la réunion interministérielle de suivi sur la Charte sur les minorités persécutées, promue en mars devant le Conseil de sécurité des Nations unies par le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius. Mgr Sako a répondu, mercredi 8 juillet, aux questions de la presse.

Quelle est la situation actuelle en Irak ?

En 2003, il y avait en Irak 1,5 million de chrétiens. Aujourd’hui, il n’en reste que 400 000 à 500 000, les autres étant réfugiés en Occident et dans les pays voisins. Notre présence est menacée, alors que nous sommes un élément du dialogue et de la réconciliation entre les communautés.

Le phénomène Daech [acronyme de l’Etat islamique] est extérieur à la société irakienne, qui s’est construite sur un régime séculier. Le sectarisme est arrivé après la chute du régime de Saddam Hussein, en 2003. Les combats entre les sunnites et les chiites sont fomentés par les axes que sont l’Iran et le Hezbollah d’un côté, l’Arabie saoudite et la Turquie de l’autre. Ils exploitent la religion pour mener une guerre politisée.

Les chrétiens sont les victimes de cela, tout comme les autres communautés qui paient le prix fort. Les familles déplacées ont besoin d’aide spirituelle, car elles sont inquiètes pour leur futur et leurs biens. Elles sont coupées de leur mémoire, déracinées. Ceux qui sont réfugiés en France ne parlent pas la langue et auront beaucoup de mal à s’intégrer. Nous avons besoin de votre solidarité et que vous fassiez pression sur vos gouvernements pour qu’ils imposent une solution politique aux belligérants. L’Etat islamique est de plus en plus fort. Il a des armes, du pétrole. Qui achète son pétrole ? Il faut arrêter cela.

Vous avez appelé à la réconciliation entre communautés et religions en Irak. Que préconisez-vous ? Pensez-vous que l’unité nationale irakienne soit toujours une réalité ?

La réconciliation est possible. Les responsables du gouvernement irakien sont des gens éduqués, qui ont fait des études à l’étranger. Le problème est le mur qui s’est dressé entre les communautés. Il faut trouver le moyen de lier à nouveau sunnites, chiites et kurdes dans un dialogue ouvert. On ne parle plus d’une réconciliation artificielle mais d’une conversion de cœur. La partition de l’Irak est déjà là, idéologique, géographique. Le gouvernement irakien ne contrôle plus l’ensemble du pays. Chaque groupe cherche à avoir son canton. Le fossé est si profond que la solution ne peut-être qu’une fédération. Le sentiment national irakien a disparu.

Soutenez-vous l’intervention de la coalition internationale en Irak ?

Oui, j’ai le droit de me défendre, et le devoir de me protéger et de défendre les autres. Je rejette en revanche la guerre faite pour les profits et les intérêts économiques. La communauté internationale a le devoir de protéger ces villes. Il faut plus de frappes, car il n’y a pas d’autres solutions. L’armée irakienne est faible et non professionnelle, les milices sont plus fortes. Les Américains ont envahi l’Irak en 2003, ils ont la responsabilité de réparer le chaos qu’ils ont laissé.

C’est énigmatique que la réponse à ce fondamentalisme ne soit pas plus forte. Cela soulève beaucoup de questions en Irak. Y a-t-il un plan pour négocier avec Daech et diviser le Moyen-Orient ? Il y a beaucoup de questions et peu de réponses.

Quel est le message que vous entendez adresser aux autorités françaises ?

C’est un double message. Il faut accroître l’aide humanitaire pour les chrétiens irakiens qui ont besoin de médicaments, d’un toit, d’un refuge. Il y a aussi urgence à lutter contre Daech et contre la division sunnite-chiite. Il faut une véritable intervention militaire pour libérer les villages qui sont sous l’emprise de Daech, car bombarder ici et là ne sert à rien.

Souhaitez-vous que la France accueille davantage de chrétiens d’Irak ?

Non, il ne faut pas vider l’Irak de ses chrétiens, sinon l’Irak deviendra l’Afghanistan. Nous sommes un élément qui favorise la convivialité, le pluralisme et l’ouverture. Au lieu d’accueillir des familles en France, il faut les encourager et les soutenir sur place. J’avais demandé au Conseil de sécurité des Nations unies en mars le déploiement de casques bleus. Les chrétiens sont pillés par leurs voisins et ont besoin de garanties et de sécurité même si cette présence est symbolique.

 

Propos recueillis par Hélène Sallon