Le Monde des Religions – Le cri du cœur du Patriarche Sako pour les chrétiens d’Irak

Patriarche de Babylone des Chaldéens, Mgr Louis Raphaël Sako n’a de cesse de plaider la cause des minorités confessionnelles irakiennes, victimes selon lui d’une « banalisation de la mort ». De passage à Paris cet été, il nous livre son analyse de la situation
Titulaire d’une maîtrise en jurisprudence islamique et primat de l’Église catholique chaldéenne, Louis Raphaël Sako fait partie de ces voix qui comptent sur la scène religieuse internationale. Cette aura, il s’en sert afin de dénoncer les horreurs perpétrées dans son Irak natal où, déplore-t-il, « tout est devenu sectaire et confessionnel ».
Solidaires pour faire front
Horrifié par la barbarie et la violence de Daech, Mgr Sako en a appellé à la responsabilité de chacun. En juin dernier, il a déjà proposé la réunification des diverses Églises d’Orient afin qu’elles condamnent d’une seule et même voix le fondamentalisme islamique. Une fois unifiée, cette Église pourrait alors se rapprocher de sa sœur latine, laquelle est à son goût trop souvent embourbée dans une « théologie spéculative très compliquée ». Sans relâche, Mgr Sako prêche en faveur d’une Église forte qui constituerait « un élément de dialogue et d’ouverture pour les musulmans, pour la réconciliation ici et là ». Le patriarche de l’Église chaldéenne a rappelé par ailleurs qu’ « il y a beaucoup plus de morts musulmans que chrétiens ». Il s’étonne, dès lors, qu’aucune fatwa – avis juridique délivré par une autorité musulmane – condamnant Daech n’ait été promulguée. Sans ériger les responsables musulmans en complices du terrorisme islamique, Mgr Sako dénonce leur immobilisme alarmant, victimes selon lui d’une forme de « fascination » pour la violence.
Fidélité et foi
Conscient que la concorde n’est pas pour demain, Mgr Sako se dit profondément admiratif des chrétiens d’Irak qui refusent d’abjurer alors qu’« ils pourraient se convertir à l’islam et garder leurs propriétés ». Un avis partagé par Youssef Thomas, proche du patriarche et évêque de Kirkouk – Kurdistan irakien –, qui souligne le courage de cette population, la comparant à la figure biblique de Job, dont la souffrance ne porte pas atteinte à la foi. « Quand les chrétiens de Mossoul vont aller au ciel, ils vont dire à saint Pierre : “Nous, on n’a pas renié Jésus, toi tu l’as renié, alors dégage” », plaisante-t-il. À l’instar de son ami Louis Raphaël Sako, Youssef Thomas rappelle que de nombreux musulmans se joignent aux chrétiens sur place : « Les dons que je reçois ne viennent pas que des chrétiens […]. Sur les quinze médecins qui nous aident à tour de rôle dans notre dispensaire, dix sont musulmans. »

Un conflit politisé

Pessimistes quant à leur avenir et à celui de leurs enfants, un million de chrétiens a choisi l’exil depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003. Mgr Sako en est pourtant convaincu : « Aller à l’extérieur, c’est un peu mourir ». Pour lui, un exode généralisé aurait l’effet tragique de taire le message christique dans la région qui fut son berceau. Aussi s’interroge-t-il : fuir, mais pour aller où ? « Nous avons rencontré quelques Irakiens à Sarcelles. Ils ne connaissent pas la langue [française], ne peuvent pas s’intégrer, et pensent tout le temps à leurs parents ou amis de Mossoul. » Sa Béatitude dresse le portrait d’un peuple qui, ici ou là, ne connaît que l’insécurité et le rejet.

S’il affirme « [qu’une] guerre est toujours mauvaise » et que la paix passera par le dialogue, Mgr Sako considère toutefois qu’on ne peut demeurer passif devant tant d’atrocités et de souffrances. Décidé à faire bouger les choses, le patriarche a réclamé l’envoi de casques bleus par l’ONU ainsi qu’une « intervention militaire au sol », convaincu que les bombardements aériens sont trop aléatoires et peu efficaces.

Méfiant vis-à-vis de l’Occident qui agit parfois de façon peu claire – « Qui achète le pétrole de la région ? […] On chasse un dictateur, mais c’est souvent pire encore après » –, le Patriarche a évoqué avec les responsables français – l’Elysée, le quai-d’Orsay, le ministère de l’Intérieur, le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, etc. – le déploiement de nouvelles aides humanitaires, ainsi que la crise migratoire qui frappe l’Europe depuis plusieurs mois.
Maxime Halvick