Le Monde – Bencheickh : " Il n'appartient pas à l'Etat d'organiser le culte musulman "

Après la tragédie qui a ébranlé notre nation en début d’année civile où l’élément islamique était « violemment » impliqué, nous voilà confrontés à la question épineuse des instances représentatives du culte islamique en France. Rappelons que chez les puristes l’adjectif « musulman » ne qualifie que celui qui est animé et doué de raison. Ce seront alors, les hommes et les femmes, la communauté ou les peuples et non pas les instituts ni le culte ni les conseils !

Cette question est encore une fois posée avec une grande acuité. D’ailleurs, le simple fait qu’elle ressurgisse avec insistance marque ipso facto la faillite du Conseil existant. Elle en souligne l’impuissance et la déficience.

Alors, il est temps de mettre à profit l’effervescence cérébrale autour de ce débat pour mettre un peu d’ordre dans le fatras idéel qui y prévaut. A commencer par tenir une réflexion de fond sur ce qui est considéré, non sans raison, comme la clé de voûte de nos institutions républicaines.

En effet, cela aura le mérite d’apaiser les tensions et de voir un peu plus clair à propos d’un concept en mutation : la laïcité. Elle n’est plus un concept autosuffisant dès lors qu’elle nécessite l’adjonction d’épithètes comme positive, ouverte, intelligente, indifférente, inclusive, et en creux, de certains antonymes négatifs, fermée, combative, exclusive, pour être mieux cernée.

Enjeu du jeu politique

Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que l’évolution interne à notre démocratie n’a pas été accompagnée d’un investissement intellectuel conséquent. Le caractère, désormais imprécis, des nouvelles et différentes conceptions affichées de la laïcité rend compte de l’incertitude dans laquelle nous nous sommes retrouvés depuis quelques années.

Une analyse affinée doit être menée au moins à trois niveaux : celui de l’organisation politique, dont découle, ensuite, une redéfinition de la place et du rôle de la religion dans l’espace démocratique ; celui du sens général attribué au principe même de laïcité, lui aussi tributaire des conjonctures et de l’évolution de l’agencement de la société ; celui, enfin, concernant les consciences croyantes des citoyens, selon qu’elles reconnaissent ou dénient à ce principe une fécondité spirituelle engageant leur expérience de foi.

Tant et si bien que lorsqu’il était requis de l’individu de se fondre dans la communauté nationale, en se montrant discret sur ses singularités afin d’accéder à l’état d’être citoyen in abstracto de ses appartenances en tant que sujet de droit, jouissant des libertés fondamentales, l’islamisme politique contemporain, en l’occurrence, promeut, à l’opposé, ses particularités, notamment confessionnelles, comme une revendication politico-identitaire. Elles deviennent alors un enjeu du jeu politique. C’est ce que les pouvoirs publics tentent d’organiser avec les citoyens français de confession islamique.

Sauf qu’en toute rigueur, une compréhension stricto sensu de la laïcité implique qu’il n’y a aucune raison de voir ces pouvoirs publics s’immiscer dans la gestion d’un culte quel qu’il soit… Néanmoins, une approche lato sensu de ces faits nous ferait admettre que l’autorité publique n’a pas épuisé le principe régulateur des sociétés ouvertes sur la diversité des options religieuses et métaphysiques.

Hiérarques autoproclamés

A ce sujet, le ministre de l’intérieur, garant des libertés publiques, qui cherche à avoir des interlocuteurs privilégiés parlant au nom de la tradition religieuse islamique en France est plus que légitime. La difficulté réside dans la confusion entre « représenter » les Français musulmans et « présider » une instance qui gère la pratique de leur culte. C’est que nous ne sommes pas dans le même registre.

Dans un premier cas, les citoyens musulmans ne seront et ne pourront être représentés que par leurs élus dans toutes les strates de la vie publique – à ce sujet, il vaut mieux, pour notre démocratie, que le collège électoral soit conforme au collège électif. Et dans un second cas, il s’agit de susciter parmi la frange islamique de la nation des hommes et des femmes qui aient la compétence, la connaissance, l’envergure et la stature d’être des pôles autour desquels s’agrègent les fidèles. L’autorité publique dont l’intervention doit être minimaliste pourrait jouer, en l’espèce, le rôle d’une simple catalyse.

Au-delà de l’intervention de l’administration, c’est son interventionnisme – avec cette idée que le suffixe « isme » étouffe la racine – qui est préjudiciable. Ce sera le cas tant qu’il n’y aura pas un sursaut salvateur de la part des citoyens musulmans pour s’organiser eux-mêmes en sociétés savantes et en instances de gestion de leur culte. Sinon, la nature ayant horreur du vide, on aura des hiérarques autoproclamés d’un côté, et de l’autre, l’immixtion du politique. Il est à craindre que nous ne soyons toujours pas sortis de cette ornière.

Sans m’appesantir sur des pratiques que nous brocardons dans les républiques bananières, il y a lieu de ne pas reproduire le scénario de ce qu’on a appelé le « conclave de Nainville-les-Roches ». En ce sens qu’un ancien ministre de l’intérieur, connu pour son hyperdynamisme, avait réuni les membres d’une consultation dans un château de la République pour faire de ces consultants des opérateurs !

Proie facile des idéologues

Il nomme le bureau de la future instance dénommée « Conseil français du culte musulman » (CFCM) en imposant des acteurs alors que le scrutin organisé post eventum n’a pas corroboré ledit bureau. Pire, la situation se représente à l’issue du premier mandat et la même décision politique maintient avec autoritarisme un président sans aucune légitimité « démocratique ». Et, le mandat d’après souffrit d’autres travers et anomalies. C’est que le résultat des votes des fidèles s’obstinait à ne pas entériner le bureau voulu par l’administration !

Plus grave encore, le bureau du CFCM est la seule instance de type cultuel à être cornaquée depuis la place Beauvau. Chose inimaginable pour nos compatriotes juifs et leur consistoire ou pour nos compatriotes catholiques et leur conférence épiscopale. Enfin, les péripéties du CFCM sont connues de tous et notamment des citoyens musulmans qui avaient affiché leur désaffection. Ils ne se reconnaissent nullement dans des personnages falots et insignifiants sans aucune compétence théologique ni connaissance de la liturgie islamique.

Aussi, ne faut-il pas s’étonner que des jeunes gens et des demoiselles n’ayant pas trouvé de modèles identificatoires ni vu leur détresse morale et leur quête spirituelle prises en charge, soient la proie facile des idéologues sermonnaires doctrinaires et que surgissent, dans le débat public, des logorrhées dégénérées sur le port du voile ; sur la non-mixité dans les piscines municipales ; sur le fait de récuser le médecin de l’autre sexe ; sur les demandes spécifiques pour une pratique aménagée du jeûne du mois de ramadan; sur le primat de la charia religieuse par rapport aux lois de la République, toutes débitées particulièrement par des imams autoproclamés, incultes et ignares.

S’ils étaient eux-mêmes éduqués, formés à l’esprit gallican, instruits, férus de sciences humaines, fins connaisseurs de leur propre théologie, ils n’auraient point proféré les billevesées et les fadaises qui confirment les préjugés dont ils sont victimes. Tout est dans l’acquisition du savoir et dans la culture. Elles sont indispensables pour les imams-thérapeutes qui prétendent « soigner » les âmes de leurs fidèles. En réalité, il est requis des imams d’être simplement de bons liturges, savoir conduire un office et présider une liturgie.