La Vie – L'appel angoissé du patriarche maronite le cardinal Raï

« Je viens porter ici la voix de ceux à qui on a ravi la voix; je viens attester ici de la détresse de millions de refugiés, de déplacés, d’enfants, de vieillards, de femmes et d’hommes qui ont perdu les leurs, à qui on a volé leur pays, leurs biens et détruit leur avenir; je viens témoigner ici devant vous de l’immense et indicible douleur de ceux qu’on a persécutés pour leur foi, de ceux dont on a insulté l’identité au nom de Dieu cause invoquée par d’impitoyables meurtriers; je viens crier ici la cause de ceux qui attendent la fin de la nuit et qui espèrent leur salut s’une communauté intenternationale qui tarde malheureusement à arrêter l’œuvre de mort d’assassins sans foi et sans frontières », a lancé à la tribune de l’Unesco le cardinal Raï, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient pour les Maronites le 25 avril, devant un parterre de diplomates et de religieux. Un discours particulièrement fort où il a décrit la « situation dramatique »du Moyen Orient. La voix vibrant d’émotion, il a lancé un appel à la communauté internationale « pour arrêter les guerres, imposer le retour des déplacés dans leur région et la récupération de tous leurs biens et leurs droits ».

> Document : Le discours à l’UNESCO du Patriarche Cardinal Béchara Boutros Raï en intégralité 


Dans cette allocution d’une demi-heure, le patriarche maronite a rappelé le rôle crucial de la présence chrétienne bi-millénaire au Moyen Orient, expliquant que les différentes Eglises avaient « constitué avant l’apparition de l’Islam au VIIè siècle et la création des Etats actuels du Moyen-Orient la base culturelle de toute cette région moyen-orientale. »

Ainsi, a-t-il affirmé, « l’exode actuel des chrétiens des pays d’Orient à cause des guerres, des conflits, des crises socio-économiques et des persécutions fait perdre au Proche Orient d’irremplaçables artisans de paix et de développement ». Sans compter, a-t-il ajouté, que  « cet exode affaiblira aussi le rôle des musulmans modérés qui constituent jusqu’à présent la grande majorité des musulmans du Proche-Orient » et qu’il « fera perdre en plus aux Etats arabes la qualité d’Etats pluri culturels et pluri confessionnels dans un monde globalisé où les chrétiens jouent le rôle de conciliateurs dans le conflit, de promoteurs d’ouverture et de garants de rencontre. »  

Pour sauvegarder la présence chrétienne au Moyen Orient, il a avancé 5 pistes :

1. résoudre d’abord le conflit israélo palestinien et israélo arabe « qui est à l’origine de toutes les guerres qui embrasent le Moyen-Orient », 

2. mettre fin aux guerres en cours en Syrie, en Irak et au Yemen « à travers les négociations politiques et le dialogue entre les parties en conflit; par conséquent, cesser de soutenir politiquement, financièrement et en armes les belligérants et les organisations terroristes; quant à celles-ci, il faut identifier les causes qui les ont provoquées et y remédier pour endiguer le terrorisme et sauver la paix dans le monde »,

3. reconstruire le vivre ensembleentre toutes les religions et dans tous les pays « par un réengagement universel en remplacement de l’assistanat et de la force militaire »,

4. déployer les efforts nécessairespour que l’Islam aujourd’hui en éruption violente ne se sente marginalisé et n’entre en confrontation avec d’autres civilisations, 

5. reconnaître que les chrétiens d’Orient, surtout les chrétiens du Liban, pourraient jouer « un rôle conciliateur » dans les conflits de la région « pour une solution politique à long terme, une solution interculturelle intrinsèque au lieu d’une solution militaire imposée »,

6. protéger la formule libanaise « qui a fait ses preuves ainsi que le rôle de la communauté chrétienne afin de garantir l’évolution de la démocratie, les valeurs de la liberté et du développement dans la région car seul le Liban sépare religion et Etat où chrétiens et musulmans sont en pleine égalité de droit et d’obligation »,

« Parler d’un Moyen-Orient sans chrétiens est une chose impossible », a-t-il lancé sous les applaudissements avant de conclure sur un cri : « Du cœur de la nuit qui nous recouvre au plus sombre des ténèbres qui nous enveloppent, je lance un appel angoissé à tous les guetteurs d’aurore d’Orient comme d’Occident, d’Europe, du monde arabe et du monde entier, de la Chrétienté comme de l’Islam, pour qu’ils nous aident à faire lever l’espérance et conforter encore plus des populations abandonnées, d
ésemparées, persécutées dans cette âpre volonté qui est la leur de ne pas se résigner au malheur.»

MARIE-LUCILE KUBACKI