La Mecque, pèlerinage de la discorde

L’Iran n’enverra pas ses citoyens, samedi 10 septembre, au pèlerinage de La Mecque en Arabie saoudite. Cette décision fait suite à la bousculade qui, l’an dernier, avait fait 2 300 morts, dont 464 Iraniens parmi lesquels figuraient plusieurs officiels et l’ambassadeur de Téhéran au Liban.

Le fait que l’Arabie saoudite ait minimisé le nombre des morts, n’en reconnaissant que 700, et refusé de révéler les résultats de l’enquête sur la bousculade, comme de désigner les responsables, avait entraîné une crise majeure avec l’Iran. Téhéran allant jusqu’à soupçonner un complot dans lequel Riyad aurait planifié l’assassinat de pèlerins iraniens.

« Durant cette année, les deux pays ont entamé des négociations mais n’ont pas réussi à régler leur différend », explique le chercheur Thierry Coville. Et à la veille du début du pèlerinage, les deux pays se livrent à une véritable guerre des mots.

« Egarés honteux »

Lundi 5 septembre, le guide Ali Khamenei traitait les dirigeants saoudiens « d’égarés honteux » et appelait à reconsidérer la gestion par Riyad des lieux saints musulmans à La Mecque et Médine. De son côté, le grand mufti saoudien, cheikh Abdel Aziz Ben Al Cheikh, accusait les Iraniens de ne pas être « des musulmans ».

Enfin, le guide iranien fustigeait la famille royale saoudienne, « cette descendance maudite maléfique (qui) ne mérite pas de gérer les lieux saints » de l’islam. « Des paroles déjà entendues, à l’époque de l’ayatollah Khomeiny », tempère Clément Therme, chercheur à l’International institut of strategic studies (IISS).

« Celui-ci usait de paroles peu amènes envers les dirigeants de la famille Al Saoud dont il refusait de prononcer le nom et à qui il niait déjà le droit de gérer les lieux saints. » La tension religieuse entre l’Iran et l’Arabie saoudite n’est en effet pas nouvelle, elle date de la révolution islamique. « Les dictatures d’Arabie saoudite et des monarchies du Golfe redoutaient d’être balayées à leur tour par la contagion révolutionnaire islamique », poursuit le chercheur.

« L’Iran s’inquiète de la progression de l’extrémisme sunnite »

Aujourd’hui, la tension est exacerbée par le conflit entre ces deux pays chiite et sunnite sur la scène régionale, alors qu’ils s’affrontent pour le leadership sur plusieurs terrains, au Bahreïn, en Syrie, au Yémen, en Irak, via leurs alliés. « Les Sunnites redoutent dans ces pays un renouveau chiite. L’Iran s’inquiète de la progression de l’extrémisme sunnite, via le soutien de certaines monarchies aux groupes de Daech, Jabat Al-Nosra, etc. », estime Milad Jokar, chercheur associé à l’Institut de prospective et sécurité en Europe (IPSE).

« Cependant, la crise entre les deux pays doit être contenue », insiste Clément Therme. Car Téhéran et Riyad ont un intérêt commun : que le baril de pétrole ne chute pas davantage.

Agnès Rotivel