La Croix – Islamiste, salafiste, takfiriste… Glossaire pour tenter d’y voir clair

 

Pour tenter d’éclairer les tensions actuelles au sein du monde musulman, La Croix propose un glossaire de quelques-uns de ces termes qui font désormais l’actualité.

Des définitions forcément partielles et qui ne pourront faire consensus, dans un monde musulman profondément divisé.

Islamisme

L’islamisme est l’un de ces courants réformistes forgés à la fin du XIXe siècle pour « moderniser » l’islam, par ceux qui l’accusaient d’être la cause d’une forme de décadence, illustrée par la colonisation, le retard technique et culturel du monde musulman…

Il désigne le plus souvent l’islam pris comme idéologie politique. Le slogan des Frères musulmans – « Le Coran est notre constitution » – en est l’illustration. Les islamistes ont pour objectif de prendre et de gérer l’État pour en faire un « État islamique ».

Les islamistes peuvent se classer en plusieurs camps : ceux qui souhaitent prendre le pouvoir par des élections (parmi lesquels se rangeraient aujourd’hui les islamistes tunisiens d’Ennahda) ; ceux qui, sans prôner la violence, n’excluent pas d’y arriver au moyen d’une révolte populaire ou d’un coup d’État ; et ceux qui prônent la lutte armée, inspirés par le penseur et militant égyptien Sayyid Qutb, exécuté par pendaison en 1966. Certains voient dans les combattants de Daech les héritiers de cette thèse.

On peut aussi distinguer les islamistes selon leur conception de l’« État islamique » : si tous se retrouvent dans l’idée d’un chef d’État musulman et, si possible, d’un Parlement majoritairement composé d’élus de partis islamistes, ils divergent sur le rôle normatif conféré à la « charia », c’est-à-dire la doctrine islamique, elle-même sujette à de multiples interprétations. Pour certains, celle-ci doit « inspirer » la législation, pour d’autres elle devra régir les divers domaines de la vie sociale.

Salafisme

La salafiyya (de salaf, pluriel aslāf, qui signifie « ancêtre, prédécesseur ») désigne un « minhaj » (une voie) fondée sur le Coran et la tradition prophétique visant à rapprocher la pratique religieuse de celle de Mohammed, de ses compagnons les plus proches sur trois générations.

L’émergence de cette doctrine est, là encore, liée à un désir de retrouver un islam « pur », celui « des origines ». Alors que les islamistes voient la solution dans un « État musulman », les salafistes sont, eux, individualistes : seul compte le retour à une pratique religieuse considérée comme orthodoxe. Les salafistes rejettent toute possibilité d’interprétation des textes et se coupent, par conséquent, de la longue tradition de l’islam dans ce domaine, de ses diverses écoles juridiques, etc.

Aujourd’hui, l’habitude a été prise de regrouper sous ce terme tous les courants littéralistes – ou néo-fondamentalistes – de l’islam qui considèrent la Sunna, c’est-à-dire les « hadiths » ou les dits du prophète Mohammed, pris au pied de la lettre comme la principale référence dogmatique. La référence à « la fin des temps », plus ou moins imminente, est constante chez les salafistes, qui en recensent les signes « mineurs » (utilisation d’instruments de musique, généralisation de l’usure, etc.) et attendent les signes « majeurs » comme la descente de Jésus et du Mahdi, ou la réunion des croyants sur « la terre du premier rassemblement », le Cham correspondant au territoire actuel de la Syrie, prélude au jugement dernier.

Salafisme quiétiste

Sociologues et politologues ont pris l’habitude de distinguer, à l’intérieur de la sphère salafiste, « quiétistes » et « djihadistes ». Pour les premiers, le « djihad » (terme signifiant « effort » ou « lutte ») armé ne peut être que défensif : il ne peut intervenir que lorsqu’un territoire considéré comme musulman ou des musulmans sont menacés et que l’ordre est donné de leur porter secours par une « autorité religieuse » (la question de savoir quelle serait l’autorité légitime fait évidemment débat). Interrogé sur la nécessité d’aller combattre en Syrie aux côtés de Daech ou Al Nosra, un salafiste quiétiste répondra que « les conditions juridiques ne sont pas réunies ».

À l’intérieur de la nébuleuse salafiste quiétiste, il faut encore distinguer ceux qui tiennent à maintenir un cordon étanche entre eux et la société de « kouffār » (infidèles) qui les environne, entretenant le rêve d’un départ (« hijra ») en « terre d’islam ». Et d’autres qui envisagent de composer avec les sociétés démocratiques occidentales et d’y vivre à la marge, dès lors qu’elles leur accordent le droit de vivre leur pratique extrême (port du niqab, refus de serrer la main aux femmes, etc.).

Salafisme djihadiste

Pour les salafistes « djihadistes » (du terme « djihad » signifiant « effort » ou « lutte »), défendre la oumma est un devoir individuel, qui s’impose à chaque croyant dès lors qu’un territoire considéré comme musulman ou un « frère » est attaqué. D’où leurs appels vigoureux lancés aux musulmans du monde entier à venir mener la lutte en Syrie contre Bachar Al Assad ou en Irak contre le pouvoir chiite.

Le courant djihadiste moderne s’est cristallisé dans les années 1980 autour de l’intervention soviétique en Afghanistan. Il trouve ses racines dans les thèses de Sayyid Qutb, penseur et militant égyptien, membre des Frères musulmans, inspiré lui-même par plusieurs théologiens comme le Syrien Ibn Tamiyya (1263-1328). La lecture partielle et partiale des écrits de ce dernier est fréquente aujourd’hui chez les salafistes, notamment djihadistes.

Les mouvements Al-Qaida, nés en Afghanistan, Boko Haram au Nigeria, ou plus récemment Daech en Irak, se revendiquent du salafisme djihadiste malgré d’importantes divergences aussi bien politiques que religieuses. Nombreux sont les musulmans à relever aussi à quel point l’« État islamique » proclamé par le « calife » Al Baghdadi s’éloigne de la doctrine musulmane classique, non seulement à l’égard des minorités mais également dans sa manière de conduire la guerre, d’encourager les attentats-suicides, etc.

Takfirisme

Plutôt que le terme de « djihadistes » qui abusent selon eux du terme « djihad », certains – notamment parmi les salafistes quiétistes – préfèrent désigner comme « takfiristes » les groupes combattant au nom de l’islam en Syrie, en Irak ou ailleurs. Il est issu du mot arabe « takfir » signifiant anathème, parfois traduit aussi par « excommunication ». Les takfiristes – ou takfiri – considèrent chrétiens, juifs, polythéistes, mais aussi chiites ou musulmans appartenant à un autre courant de l’islam, comme mécréants et donc susceptibles d’être mis à mort.

Ce nom a été donné d’abord à un mouvement dissident des Frères musulmans, fondé en Égypte au début des années 1970 à la suite de la grande répression des islamistes. Importé en France au milieu des années 1990, par l’intermédiaire du Groupe islamique armé (GIA) algérien, il inspire plusieurs filières « djihadistes » récentes, qu’il s’agisse du Front Al-Nosra, ou des auteurs des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier…

Wahhabisme

Le wahhabisme est un courant rigoriste fondé au XVIIIe  siècle par Mohammad Ibn Abd Al-Wahhab, là encore avec la volonté de ramener l’islam à sa « forme originelle » et bédouine. Une interprétation littéraliste et conservatrice du Coran et de la Sunna que choisit comme « religion officielle » la dynastie des Saoud à la tête du Royaume saoudien.

Le wahhabisme condamne toute « innovation » dans l’enseignement de l’islam et considère que l’État doit se conformer à la charia. Il est donc à l’origine du salafisme, avant que ce dernier n’essaime en dehors de la Péninsule arabique et ne se ramifie en divers courants, certains très critiques à l’égard du wahhabisme et des autorités saoudiennes… Courant très minoritaire au départ, le wahhabisme a indéniablement bénéficié, ces dernières années, de la manne des pétrodollars pour sa diffusion dans le monde musulman et au-delà.

Anne-Bénédicte Hoffner

http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Islamiste-salafiste-takfiriste-Glossaire-pour-tenter-d-y-voir-clair-2015-12-09-1390887