La Croix – Face aux migrants, les catholiques agissent encore peu

Située non loin du camp démantelé le 2 juin par les forces de l’ordre dans le nord de Paris, l’église Saint-Bernard reste l’un des hauts lieux de la mobilisation des catholiques pour les migrants.

Ses paroissiens ont lancé vendredi 12 juin un appel à l’implication de tous les chrétiens dans la capitale.

Malgré une « prise de conscience » chez bon nombre de catholiques, née en particulier des appels répétés du pape, il reste pour beaucoup à passer de la compassion aux actes.

Autour de l’église Saint-Bernard, à Paris, les forces de l’ordre patrouillent par groupes de deux ou trois. Pour la police, ce lieu de culte situé au cœur du quartier populaire de la Goutte d’Or, ne doit surtout pas redevenir, comme en 1996, le bastion de la lutte pour la régularisation des sans-papiers. À l’époque, l’église avait été occupée par des Maliens et des Sénégalais en situation irrégulière. Presque vingt ans plus tard, les exilés qui vivent dans ce quartier ne sont plus les mêmes. Aujourd’hui, ceux qui viennent demander assistance dans cette paroisse du nord de la capitale ont fui l’Érythrée, la Somalie et le Soudan. Le démantèlement, le 2 juin, du campement de fortune coincé sous le métro aérien à la station La Chapelle, tout à côté, a fait monter la pression d’un cran.

Mais les fidèles du quartier n’ont pas attendu cette intervention policière très médiatisée pour se mobiliser. Voilà déjà des années que le premier dimanche de chaque mois, un « panier solidaire » circule dans les travées de l’église. Argent, lait, café et sucre sont ainsi récoltés au profit des migrants. En face de l’église, dans une salle paroissiale, sœur Marie-Jo Biloa, religieuse camerounaise membre de la congrégation des sœurs de Jésus serviteur, est depuis six ans la principale cheville ouvrière d’un accueil administratif, assuré tous les jeudis dans l’une des salles paroissiales.

Les fidèles de Saint-Bernard sont longtemps restés isolés dans leur engagement auprès des migrants, surtout concentrés dans le nord de la capitale. Mais depuis quelques mois, les choses changent. « Cette année, les paroissiens d’autres quartiers, comme La Trinité (9e ), Notre-Dame-des-Foyers (19e ) ou Notre-Dame-de-Passy (16e ) nous ont prêté main-forte pour le travail d’écoute et d’orientation des personnes, ou la collecte de vêtements », raconte le P. Livio Pegoraro, le curé de Saint-Bernard. Sensibilisés, ils ont même accueilli deux demandeurs d’asile. Un accueil de jour pourrait ouvrir en septembre prochain dans une paroisse voisine, qui dispose de locaux exploitables.

« Il y a un effet François »

Ce mouvement, perceptible dans cette église emblématique de la capitale, est-il révélateur d’une évolution plus large ? Alors que ces derniers mois ont été marqués, non seulement par la médiatisation des démantèlements musclés de camps de migrants mais aussi par celui des naufrages tragiques en Méditerranée et des appels du pape François à s’engager aux « périphéries », la mobilisation des catholiques prendrait-elle une ampleur particulière ?

« Il y a un effet François », répond le P. Livio. Il y a encore un an et demi, il ne restait plus qu’un petit noyau de personnes à servir la cause des migrants. « À présent, le groupe compte une grosse quarantaine de bénévoles actifs », confirme Sœur Marie-Jo. Parmi ceux qui sont venus grossir leurs rangs, on trouve des fidèles peu habitués à ce genre d’engagement. « Je reconnais que je n’arrive pas toujours à être agréable tous les jours, mais cet accueil m’évangélise au quotidien », avoue l’un d’entre eux.

La question se pose bien au-delà de Saint-Bernard. « Les paroissiens qui aidaient déjà continuent de le faire », confirme Anne-Marie Defrance à Steenvoorde, dans le Nord. Avec l’association Terre d’errance, née en 2008 grâce à la mobilisation de chrétiens de la région, elle vient surtout en aide à des migrants, érythréens et soudanais pour la plupart. Elle raconte notamment l’hiver pluvieux et les conditions déplorables endurées par ces demandeurs d’asile, réfugiés dans la « jungle », un petit bosquet non loin de l’A25 et de son aire de repos et des camions vers l’Angleterre… « Des paroissiens sont allés aider à refaire les abris et à installer des palettes pour qu’ils aient un minimum d’isolation. Sans doute y en a-t-il qui ne sont pas d’accord avec nous, mais ils ne nous le disent pas. »

« Les réactions sont plus bienveillantes qu’auparavant »

Responsable de la pastorale des migrants pour le diocèse du Mans (Sarthe), Annie Bigot reconnaît que « le regard des chrétiens sur les migrants a changé ». « Lorsque nous faisons une annonce dans une paroisse, les réactions sont plus bienveillantes qu’auparavant », explique-t-elle. Elle se souvient du coup de téléphone d’une paroissienne sarthoise, cet hiver, appelant pour signaler la situation difficile d’une femme sans-papiers. « En discutant avec elle, elle s’était rendu compte de ses problèmes, et nous l’a signalé. Il y a quelques années, cette paroissienne n’aurait peut-être pas fait cette démarche. Ce genre de signalement est de plus en plus fréquent. »

Une évolution en partie due, selon elle, à la forte mobilisation des catholiques de France pour les chrétiens d’Irak et de Syrie. « Au Mans, deux associations se sont créées pour venir en aide à ces migrants. Ils mobilisent des chrétiens peu habitués jusque-là à s’investir dans ce domaine », se félicite-t-elle. Avant de relever que l’équipe diocésaine qu’elle pilote n’a pas grossi, comptant toujours une dizaine de bénévoles, malgré des besoins croissants…

« Nous surfons sur une vague émotionnelle, qui a provoqué une compassion particulière »

À Orsay, près de Paris, Christine Lenoir, l’un des piliers de l’association « Dom’asile », qui vient en aide aux migrants, constate elle aussi que cette indéniable « prise de conscience » par les chrétiens n’est pas encore suivie d’effets. « Pour l’instant, nous surfons sur une vague émotionnelle, qui a provoqué une compassion particulière, explique-t-elle. Un exemple : je n’entends plus de protestations, ces derniers temps, lorsque l’on évoque le sort des migrants dans les prières universelles. » Il est cependant prématuré de parler d’un engagement concret des chrétiens, souligne, avec d’autres, cette responsable. « Comment cette sensibilisation, a priori réussie, va-t-elle se traduire en actes ? C’est un travail de longue haleine, et il est encore trop tôt pour pouvoir dire simplement’ça bouge’. » D’autant plus que, relève-t-elle, les modes d’engagement sont désormais plus difficiles à identifier. « Il ne s’agit plus forcément de tenir une permanence, mais plutôt de la publication d’un statut sur un réseau social, de la signature d’une pétition ou la participation ponctuelle à une action caritative ».

 

À cette difficulté de passer des mots aux actes s’ajoute aussi celle des troupes disponibles. « Les paroissiens ne sont pas spécialement mobilisés autour de la situation des migrants, explique, à Paris, le P. Philippe Marsset, le curé de Notre-Dame de Clignancourt (18e). Les forces caritatives de la paroisse sont plutôt concentrées sur l’accueil de 110 personnes de la rue, 4 jours par semaine… Soit 16 000 repas par an. » « Les paroisses qui sont déjà très actives ont leurs limites en termes de ressources humaines », reconnaît Charles Gazeau, délégué épiscopal pour la solidarité dans la capitale. Ce diacre évoque la possibilité de mettre en place une « solidarité interparoissiale pour mieux répartir les efforts » entre les communautés. C’est dans cette perspective que le diocèse de Paris a largement diffusé, vendredi dernier, une « lettre de la paroisse Saint Bernard de la Chapelle aux migrants ». Appelant tous les chrétiens de Paris à « réagir face à la culture du rejet »

Jean-Baptiste François et Loup Besmond de Senneville (avec Nicolas Senèze et Sixtine Dechancé)