La Croix – Attentats de Paris : pour Frère Alois, « la fraternité universelle est le seul chemin d’avenir »

 

La Croix : Où est Dieu ces jours-ci ? On peut avoir du mal à le voir dans ces drames…

Frère Alois : Déjà un psaume posait cette question : où donc est Dieu ? Dieu est là, il souffre avec les victimes. C’est à nous d’en être les témoins, en approfondissant la confiance que le Christ nous a donnée et par laquelle il a abattu les frontières entre les humains. Si nous ne voyons pas Dieu ces jours-ci, c’est peut-être que la violence des événements nous rend cette confiance difficile, et que nous nous laissons hypnotiser par la peur…

La peur est une réalité pour nous tous, c’est compréhensible. Mais la sécurité absolue n’existe pas. La fraternité, la confiance rétablie entre les humains est le seul chemin d’avenir pour préparer la paix. Je trouve très beau que dans cette situation, le mot « prière » jaillisse aussi spontanément : on l’a vu sur les réseaux sociaux autour du slogan « #prayforparis ». Une solidarité énorme s’est exprimée, mais aussi un sens de Dieu. Les deux sont d’ailleurs liés : Dieu est amour, la solidarité en est un reflet.

Comment lutter contre cette peur ? Comment ne pas vivre dans le soupçon ?

Fr. A. : Dire sa peur est une première étape. Tous, nous sommes sous le choc. Résister à la peur, cela ne signifie pas qu’elle doit disparaître, mais qu’on doit en être conscient, et ne pas se laisser paralyser par elle. La fraternité est vraiment le seul chemin d’avenir, même s’il semble fragile.

Le Christ lui-même était vulnérable, nous ne pouvons pas être moins vulnérables que lui. C’est en lui que nous puisons une confiance qui peut nous porter à travers des événements qui nous dépassent et nous font peur. Jésus, même abandonné par ses disciples, ne leur a pas retiré sa confiance. Il n’a condamné personne.

La violence de notre époque est-elle exceptionnelle ?

Fr. A. : Il faut se rappeler que la barbarie a toujours existé. Dans nos pays occidentaux, nous la croyions pour toujours derrière nous, mais ce n’est pas le cas. Nous ne devons pas permettre que le refus de l’autre s’introduise dans nos cœurs car c’est le germe de la barbarie.

Dans une telle situation, une réaction militaire peut être nécessaire, mais elle n’est jamais suffisante. Ce qui m’a frappé ces derniers jours, c’est de voir que l’élan de solidarité a été aussi spontané que la peur. Les gens sont allés vers les blessés, ont recueilli des inconnus dans leurs appartements. Nous devons nous appuyer sur cette réalité. Développer notre solidarité, voilà qui est nécessaire aussi et qui doit aller de pair avec la réponse sécuritaire.

Nous chrétiens, nous formons tous ensemble l’Église visible, mais nous devons aussi dire que l’Évangile crée une communion encore plus large : dans le cœur de Dieu, tous les humains constituent une seule famille. Avons-nous pleinement accepté de vivre dans le pluralisme de cette famille humaine ? Sans cela, nous ne pourrons pas prétendre à une fraternité universelle.

En accueillant à Taizé des jeunes de tous les horizons, nous essayons de permettre à des jeunes de faire des expériences de cette fraternité universelle, et je voudrais dire combien les nouvelles générations dans leur immense majorité aspirent à la paix.

Que signifie « espérer » dans le contexte actuel ? Et surtout, comment pardonner ? Quels sont les atouts particuliers des chrétiens pour le faire ?

Fr. A. : Ce n’est pas nous qui créons notre espérance, nous la recevons. En nous réunissant, en priant ensemble, nous recevons cette espérance qui vient du Christ. Nous balbutions la foi qui nous a été transmise par les croyants qui nous ont précédés. Mais nous sentons qu’elle nous rend plus humains, que l’Esprit Saint est une force intérieure.

Bientôt, nous ouvrirons l’Année de la miséricorde, une valeur d’Évangile qui peut être une réponse à l’épreuve que nous vivons aujourd’hui, parce que la miséricorde et la compassion sont capables de désamorcer la spirale de la violence entre les humains. Espérer n’implique aucune passivité, mais appelle à aller vers les autres, à ne pas se replier. Beaucoup de chrétiens donnent leur vie pour la réconciliation et pour la paix. Beaucoup de martyrs ont appelé à l’amour et au pardon.

« Pardon », c’est un mot qui en ces jours ne vient pas facilement. Il y a des situations où nous ne pouvons pas pardonner. Mais nous pouvons toujours confier au Christ ceux qui font du mal et dire, comme lui quand il était sur la croix : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Il est essentiel que dans ce moment nous nous référions au Christ, et même à cette joie qui ne peut être détruite parce que chaque être humain est aimé pour l’éternité. C’est cela, notre foi.

Comment peut-on continuer à présenter les religions comme un facteur de paix alors que tous les attentats sont commis au nom de Dieu ?

Fr. A. : C’est un fait que Daech invoque le nom de Dieu pour justifier ses crimes mais cela n’a rien à voir avec l’islam authentique, tous nos amis musulmans nous le confirment. Comme chrétiens, nous voudrions chercher comment Dieu est présent aussi dans les autres religions. Et ensemble avec elles nous devons affirmer qu’il est impossible de justifier la violence au nom du « seul vrai Dieu ».

S’ouvrir encore davantage, cela ne paraît pas très naturel à l’heure actuelle…

Fr. A. : En ce moment, nous hébergeons à Taizé sept migrants soudanais qui sont venus de Calais. Samedi, au repas de midi, ils nous ont dit combien ils étaient désolés de ce qui se passait, et qu’ils condamnaient ceux qui utilisent l’islam pour commettre de telles atrocités. Puis ils ont psalmodié une prière en arabe. Je pense que c’est cela dont nous avons besoin : un simple contact avec des musulmans peut déjà changer notre regard.

S’il y a des jeunes qui se laissent prendre par ceux qui leur présentent la violence comme projet de vie, les religions ont désormais la responsabilité de montrer que la fraternité est un projet de vie qui nous conduira loin.

Recueilli par Loup Besmond de Senneville et Gauthier Vaillant