Frère Gwenolé Jeusset : Visite du Pape François en TURQUIE

​Le 28 novembre 2014, l’avion se posa à Ankara, la capitale. Après un accueil officiel de chef d’Etat, lourd à porter, semble-t-il, pour notre pape, on se rendit au mausolée d’Atatürk. Deux rencontres et des discours importants étaient au menu.

Certes la position de la Turquie, coincée entre la Syrie, deux millions de réfugiés, le problème kurde, un centenaire de génocide, le Daesh et le songe néo-ottoman n’est pas une petite affaire à gérer. Mais quelle différence entre la rancœur et l’accusation généralisée de l’Occident (sous-entendu chrétien et juif) persécutant le monde musulman et le discours de François parlant des violences faites contre toutes les minorités, quelles qu’elles soient. A la fin, Mr le Président offrit au Pape la copie des firmans (permissions) donnés aux chrétiens latins durant l’empire ottoman.
Le discours du Directeur des Affaires religieuses était plus pacifié. En 2006, Benoît XVI avait montré son humilité en recevant du précédent un cours sur l’Islam non-violent en réponse à la compréhension du discours de Ratisbonne. Ici tout était plus décontracté.

​Le 29, quelle surprise de voir sur nos écrans, non la papamobile blindée mais une voiture toute simple se mouvoir dans Istanbul. François, sa suite épiscopale (moins nombreuse à mes yeux que du temps de son prédécesseur) et sa suite sécuritaire (plus nombreuse et nécessitée sûrement parce que Sa Sainteté prend moins de précautions !) arrivent à la Mosquée bleue. Tout le monde se souvient ici des lèvres remuantes de Benoît XVI à la proposition du mufti de faire un instant de silence qui fit dire aux journaux turcs : « Nous n’avons pas compris cet homme » (un homme de prière qui prie dans une mosquée). Dans cette mémoire heureuse, nous nous attendions à ce qui pourrait désormais devenir le « rit papal de la visite à la Mosquée bleue ». François devança le mufti et prit lui-même l’initiative. Par peur des critiques, on expliquait que le pape précédent n’avait pas prié mais médité ; on le redit encore pour cette occasion. Pourtant je constate que notre Saint Père ne s’embarrasse pas ; dans l’avion du retour, il parle expressément de prière. Fi de certains grincheux qui se prennent pour des docteurs de l’Eglise. On se doute bien que le pape ne fait pas de syncrétisme !!!
Ensuite la petite voiture continua jusqu’à Sainte Sophie mais là – c’est un comble – un pape ne peut « prier » ! Que vienne vite le jour où empêcher un croyant et surtout un pape de remuer les lèvres dans un monument spirituel de cette qualité sera universellement considéré comme une offense à la liberté religieuse !

La messe à la cathédrale latine
L’après-midi, l’entrée solennelle avec le patriarche Bartoloméos 1er étant remise aux calendes grecques, car je ne sais lequel avait dix minutes d’avance ou dix de retard, l’éminentissime souverain pontife est entré dans l’église comme un bon curé. Remontant en saluant des deux mains les deux côtés, il parvint aux rangs occupés par les prêtres. Je crois qu’il nous a tous salué un par un, même moi caché par les plus intrépides : un homme d’une telle simplicité ne vous élève pas pour être à sa hauteur, il s’abaisse pour se mettre à la vôtre.
​Le patriarche est arrivé et la messe a commencé. Le pape François était à deux mètres quand il est venu faire l’homélie : «Il y a toujours en nous la tentation de résister à l’Esprit Saint, parce qu’il bouleverse, parce qu’il secoue, il fait marcher, il pousse l’Église à avancer. (…) Et nous, chrétiens, nous devenons d’authentiques disciples-missionnaires, capables d’interpeller les consciences, si nous abandonnons un style défensif pour nous laisser conduire par l’Esprit ».
​Le pape ne chante pas mais notre messe ne pouvait être trop simple. Tous les rites catholiques présents en Turquie : chaldéen, syriaque, arménien, latin et les youyous africains, tentèrent de relever ce défi même si toutes et tous n’étaient pas des premiers prix de Conservatoire de Milan ou de Kinshasa.
Comme il y a huit ans encore, le pape et le patriarche nous donnèrent ensemble la bénédiction finale. Geste superbe ! Puis Bartoloméos se sauva pour accueillir solennellement François qui allait arriver très vite chez lui pour la célébration œcuménique.

Au Phanar l’œcuménisme premier servi

L’église patriarcale est encore plus petite que notre cathédrale et nous n’avions pas de billet de faveur. Personnellement je trouve merveilleux d’être une Eglise servante de l’œcuménisme. Notre communion était donc réelle mais à distance.
Dans la déclaration commune, sauf erreur de ma part, c’est la première fois que les responsables des deux Eglises s’engagent, dans le même texte, sur le dialogue islamochrétien. Non en faisant de la théologie mais en partant de l’œcuménisme de la souffrance au Moyen-Orient. Si je vois juste, ce lien à ce niveau est une étape qui fera date. Egalement, j’ai été impressionné par le Pape s’inclinant à demander la bénédiction du Patriarche pour lui et pour l’Eglise de Rome et par la réponse à l’Orientale du baiser sur le crane penché.

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L’après-midi, François rencontrait de jeunes réfugiés syriens et iraquiens. Depuis Lampedusa, nous savons combien ce pape est image de la tendresse de Dieu. Cela accompli, le successeur de Pierre se rendit au chevet du patriarche arménien d’Istanbul Mesrop II, réduit à l’état végétatif depuis plusieurs années. Encore un geste de compassion œcuménique bien évangélique.

De la conférence de presse dans l’avion du retour, je retiens ceci. Le Directeur des Affaires religieuses et ses assistants lui avaient dit : «Nous devons faire un saut de qualité, nous devons faire le dialogue entre des personnes religieuses de différentes appartenances ». Il commente : « On ne parle pas seulement de théologie, on parle d’expérience religieuse ». Cette expérience religieuse avec frères et sœurs de l’Islam, c’est toute ma vie que vous bénissez ! Merci Saint Père !
Frère Gwenolé Jeusset, ofm