En Irak, la vie des réfugiés chrétiens s’améliore progressivement

Cela fait maintenant vingt mois que les chrétiens chassés de Mossoul et de la plaine de Ninive par Daech patientent au Kurdistan irakien, attendant soit de rentrer chez eux, soit d’émigrer.

Grâce à l’aide des Églises locales, soutenues par des ONG et Églises étrangères, leur vie matérielle s’est un peu améliorée. Mais l’incertitude quant à l’avenir et le désœuvrement fragilisent leur moral

Avec leurs « caravanes » alignées, les réfugiés du camp d’Ashti 2 font figure de privilégiés par rapport à beaucoup d’autres. Certains ont aménagé une sorte d’auvent, sous lequel ils ont disposé quelques chaises, d’autres une vraie terrasse avec de la moquette verte imitant le gazon. Ici ou là, les épiceries, menuiseries, salon de coiffure ont poussé, tenus par des réfugiés qui ont parfois renoué avec leur ancienne vie, à Mossoul ou Qaraqosh. Une vaste église de 800 places, l’église de l’Annonciation, est sortie de terre au centre du camp : un diacre y a été récemment ordonné.

Surtout, grâce à l’énergie communicative de sœur Elishuah, une Petite sœur de Jésus qui vit en fraternité dans une caravane, les déchets sont désormais ramassés et jetés par les habitants. Seuls restent les chemins défoncés et les trous pleins d’eau, derniers témoignages des récentes pluies abondantes.

« La vie continue, mais jusqu’à quand ? »

Avec ses 1 000 caravanes données par l’État, le camp de réfugiés d’Ashti 2 est le plus grand d’Ankawa. Il est aussi l’un des mieux lotis : contrairement à celui d’Ashti 1, où les douches et toilettes sont communes, ici, chaque mobile-home – souvent surpeuplé – se compose de deux petites pièces, séparées par une cuisine/douche. Eau et électricité arrivent même plutôt mieux que dans le reste d’Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Attirées par ces conditions de vie, 38 familles supplémentaires viennent d’être accueillies par le P. Emmanuel, le responsable du camp. Ce prêtre syrien-catholique était responsable d’une paroisse de Mossoul jusqu’à l’invasion de Daech à l’été 2014…

Un terrain de jeux ombragé accueille les petits, un jardin d’enfants ceux de 5 à 6 ans, et une école primaire, construite par le gouvernement italien, les plus âgés. Des premières communions, des mariages seront célébrés ces prochaines semaines. « La vie continue, mais jusqu’à quand ? », s’interroge Mgr Petros Moshe, évêque syrien catholique de Mossoul et Qaraqosh, qui voit bien que le moral des réfugiés « varie avec les nouvelles » politiques et militaires, et notamment la perspective d’une reconquête de Mossoul par les armées kurde et irakienne. « Cela va mieux parce qu’ils ont ce qu’il faut dans les caravanes, mais beaucoup n’ont plus d’espoir et partent ».

Plusieurs milliers de dollars pour une opération

Ceux des réfugiés qui sont parvenus à se loger dans des appartements en ville ont d’abord semblé les plus chanceux. Mais au bout de vingt mois, leurs réserves se sont épuisées et ils sont nombreux à demander de l’aide à leur Église.

La santé reste aussi une question difficile pour beaucoup de réfugiés, surtout lorsque se profile la perspective d’une opération. Alors que les hôpitaux étaient gratuits sous Saddam Hussein, désormais la moindre intervention se chiffre en milliers de dollars…

Et pour tous, la quête d’un emploi est un autre parcours d’obstacles. Arabophones, les réfugiés ne maîtrisent pas le kurde, la langue locale. « Quand ils vont faire leurs courses, les vendeurs les refoulent parfois en leur disant “Apprends d’abord le kurde, tu reviendras ensuite”­ », raconte Rabee Yousif Soran, le responsable du camp de Neshtiman, installé dans un immense centre commercial en construction, appartenant à un chrétien, et dans lequel des logements ont été aménagés, avec l’aide du ministère français des affaires étrangères, pour 70 familles.

Des réfugiés pauvres et désœuvrés

À force de ténacité, plusieurs réfugiés ont créé eux-mêmes leur emploi : vente de fruits et légumes sur les trottoirs d’Ankawa, gardiens enrôlés par la police kurde… Les enseignants des écoles ont pu trouver à s’employer dans les écoles chrétiennes locales, ouvertes par les Églises, et notamment l’école Saint-Irénée, financée par le diocèse de Lyon. De même que ceux de l’université de Hamdanyiah, près de Qaraqosh, que le diocèse syrien-catholique a réussi à rouvrir tout près de son nouvel évêché.

Avec l’aide de l’association Fraternité en Irak, deux boulangeries ont déjà été ouvertes, construites et tenues par des réfugiés : elles vendent le pain traditionnel moins cher qu’en ville. Pilotées par Sahar Izkir, une ancienne professeur de l’université de Mossoul, une petite équipe de femmes fabriquent de magnifiques mosaïques dans un atelier là encore fourni par l’association.

Mais la pauvreté des réfugiés, leur désœuvrement rendent la vie de certains impossible. Présents marginalement à Qaraqosh, la prostitution, les trafics ou la consommation d’alcool ont augmenté, au point que les sorties du camp d’Ashti 2 sont désormais interdites la nuit.

L’Église syrienne-catholique s’inquiète aussi du prosélytisme des ONG et Églises évangéliques, américaines notamment. Samaritan’s Purse, International Alliance Center : de nombreuses pancartes ont fleuri dans le centre d’Ankawa. L’Église méthodiste s’est même installée à la sortie du camp d’Ashti. « Beaucoup sont arrivées dès l’invasion américaine en 2003, indique un religieux. Mais leur nombre s’est considérablement accru. Elles proposent des logements gratuits aux familles, parfois des visas, et les invitent ensuite au culte. »

Anne-Bénédicte Hoffner (à Erbil)