Editorial La Vie – Pâques avec les chrétiens d’Orient

Pâques avec les chrétiens d’Orient

Saint-Pétersbourg, Stockholm, Alexandrie. Fin de carême ensanglantée. L’horreur hoquette. Des enfants victimes d’armes chimiques, des chrétiens en prière dans le delta du Nil, des Russes, des Suédois, un camion, le métro, deux églises… Faut-il illuminer la tour Eiffel pour les uns et se contenter de condoléances distancées pour les autres ? Trier selon les décombres serait obscène. Faut-il oublier aussitôt, lassés par la banalité du mal ? Parlons au moins un peu de ceux dont on parle sans doute le moins. En Syrie, où les journalistes n’osent plus guère se rendre, notre envoyée spéciale Laurence Desjoyaux a eu le courage de ­parcourir un immense champ de peur, de misère et de deuil. Son reportage nous fait entrevoir l’agonie des chrétiens d’Orient, ces communautés dont la France, renonçant à toute mission historique, a cessé de se vouloir la protectrice.

Alep, les lions et les ruines

Penser à la suite. Quels que soient le pays concerné et les formes qu’y prend le problème, il faudra du temps. Plus de temps que pour tirer des missiles Tomahawk depuis un bateau américain et applaudir au « signal » envoyé, sans trop se demander que faire après. Au Pays basque, en Irlande du Nord, on a consommé des décennies de patience, d’échecs, de volonté. Pourtant, le problème était comparativement simple, les acteurs du conflit circonscrits, structurés. De nos jours, n’importe qui peut prendre le volant pour tuer des passants et donner un sens à sa pulsion criminelle. Terrorisme islamiste prolétarisé dans les villes d’Europe, régimes haïssables de Syrie, d’Algérie (il faut lire Kamel Daoud) ou d’Égypte, fanatisme financé par nos amis du Golfe… Ni le départ d’Assad ni la fin de Daech ne seraient le dernier mot d’un mal cultivé depuis si longtemps. Appelons charlatans ceux qui promettent une réponse univoque.

Envisager alors ce long combat sous l’angle spirituel, comme un carême de 40 ans, à l’image des Hébreux errant dans le désert. Ou comme une montée vers Pâques, une Passion vécue dans la chair, et non en costumes d’époque. Les souffrances des chrétiens de Syrie font entendre pour de vrai le cri de Jésus à l’agonie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mais par ce mot, le Christ élève avec lui, sur la croix, tous nos découragements. Le jour des Rameaux, alors que l’on apprenait les terribles massacres de Coptes, une brève vidéo diffusée sur les réseaux sociaux par l’association Fraternité en Irak montrait les chrétiens joyeux dans l’église incendiée de Qaraqosh, où leur présence se rétablit avec difficulté. Ceux qui n’ont plus rien souffrent avec le ­Messie et par lui espèrent. Ils méritent, littéralement, le nom de fidèles.

Parmi les sept dernières paroles de Jésus, cette prière : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Penser déjà à la réconciliation comme la seule école que les chrétiens devraient ouvrir, partout, pour tous, en déblayant leurs ruines. Voir aussi ces épreuves comme le lieu où le Christ se fait reconnaître. Le premier homme à confesser la foi, au moins partiellement, est un centurion romain, l’un des militaires chargés de surveiller l’exécution : « Vraiment, cet homme était le fils de Dieu. » Il faudra encore du silence, de la peur, du découragement pour que l’on comprenne. Mais au bout de ce chemin de destruction et de trahison, d’espérance et de pardon, d’un coup viendra le grand matin. Ce sera Pâques. Et l’on dira : il est vivant. Alors tout commencera.