Courrier International – Tunisie : Un gouvernement sans islamistes et sans majorité

Le 23 janvier, le Premier ministre Habib Essid a dévoilé la composition de son gouvernement. Pour la plupart des commentateurs, le nouveau cabinet pose de nombreuses questions et risque de ne pas obtenir le vote de confiance du Parlement, prévu le 27 janvier.

“Les différentes formations politiques ont découvert avec étonnement et, parfois avec indignation, la composition du nouveau gouvernement. C’est l’insatisfaction qui prévaut de manière générale. Certains pour ne pas avoir été associés et d’autres parce qu’ils estiment qu’aucun programme n’a été établi. Le résultat est un gouvernement qui ne jouit pas de l’assise nécessaire aux grandes réformes qui l’attendent”, souligne le site Business News.Même son de cloche sur le site Leaders : “Les réactions sont très variées, entre déception des uns, mécontentement des autres et vives polémiques au sein des états-majors des partis politiques quant au soutien à lui accorder ou non.”

Avec 22 ministères, deux portefeuilles de ministre délégué et 15 secrétariats d’Etat, l’équipe gouvernementale annoncée vendredi 23 janvier est composée de membres de Nidaa Tounès (Appel de la Tunisie), premier parti du pays, qui a remporté 86 sièges sur 217 au Parlement issu des législatives du 26 octobre. Ce parti détient plusieurs portefeuilles, comme les Affaires étrangères, attribuées à son secrétaire général Taïeb Baccouche, la Santé et le Transport. Dans la nouvelle équipe, on retrouve aussi l’Union patriotique libre (UPL, 16 sièges), qui obtient trois portefeuilles. Aucun autre parti politique n’a été associé à ce cabinet. En revanche, de nombreux indépendants, sans couleur politique et pour la plupart inconnus des Tunisiens, y participent.

Ennahda appelle à ne pas voter la confiance

A noter que le parti islamiste Ennahda, deuxième force politique du pays avec 69 sièges, n’a obtenu aucun portefeuille ministériel. Son porte-parole, Zied Ladhari, dont le nom avait été cité, lors des négociations, pour un secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères, a affirmé que le parti “ne tient pas à être représenté dans ce gouvernement et n’a pas demandé à en faire partie”, rapporte Kapitalis.

Le Conseil de la choura [bureau politique] du parti a d’ailleurs appelé ses députés à ne pas voter la confiance, en soulignant “l’absence de cohérence dans la composition du nouveau gouvernement, qui ne s’accorde pas avec les appels du mouvement Ennahda pour un gouvernement d’union nationale”.

De même, rapporte Kapitalis, le Front populaire, coalition de partis de gauche, disposant de 15 sièges à l’Assemblée, “a appelé son bloc au Parlement à ne pas voter pour le gouvernement Habib Essid et indiqué qu’il ne soutiendra pas la nouvelle équipe gouvernementale”.

Parmi les mécontents, Business News s’arrête pour sa part sur le parti Afek Tounès, qui a remporté 8 sièges au Parlement issu des législatives du 26 octobre, mais qui a choisi de ne pas se joindre au futur gouvernement, arguant de “divergences tant au niveau du programme gouvernemental qu’au niveau de la structure”. Et de souligner : “Plus étonnant encore, plusieurs leaders du parti Nidaa Tounès ont avoué, de leur côté, qu’ils découvraient la composition du gouvernement en même temps que tout le monde à la télévision.”

Taux de participation féminine

Parmi les nominations, celle du nouveau ministre de l’Intérieur, Mohamed Najem Gharsalli, “fait déjà couler beaucoup d’encre”, poursuit Business News. Les critiques concernant le choix de Gharsalli, qui travaille dans le corps de la magistrature depuis près de vingt-cinq ans, considèrent que cet homme était à la solde du régime du dictateur Ben Ali. Il serait responsable du noyautage de l’association des magistrats et aurait de ce fait contribué à la persécution de ses collègues magistrats.

Toutefois, Kapitalis laisse pointer une note d’optimisme : Avec 3 ministres et 6 secrétaires d’Etat, la femme est bien représentée dans le gouvernement Essid”. Ainsi, la Coalition pour les femmes de Tunisie, un réseau formé en 2012 et regroupant plusieurs associations actives dans le domaine de la promotion des droits de la femme, “a affirmé que le taux de participation de la femme au gouvernement (26 %) était ‘acceptable’ mais restait en deçà des attentes des militantes féministes”. Ses membres auraient souhaité “un taux de participation qui ne soit pas inférieur à 30 %”.

En tout état de cause, Essid peut théoriquement espérer recueillir mardi 27 janvier 102 voix – 86 de Nidaa Tounès et 16 de l’UPL – parmi les 217 votants du Parlement. Mais 5 députés désignés à des postes ministériels ne pourront pas voter la confiance au gouvernement. Essid disposerait donc, a priori, de 97 voix. Or il lui en faudrait 109 pour valider la nouvelle équipe. Nommé le 5 janvier au poste de Premier ministre, Essid avait un mois pour constituer et présenter son équipe. Un délai renouvelable une seule fois.