Courrier International – TUNISIE • Difficile de voter pour "le moindre mal"

Certes les partis se sont mobilisés [tout au long de la campagne électorale], utilisant images, vidéos, slogans, affiches, affichettes, interviews, débats télévisés, meetings, pour mobiliser leurs troupes et séduire les indécis. Faute d’idées et de propositions claires, on joue l’émotion pour convaincre, on fait appel à la religion, on intimide, on essaie de faire peur. Bref, chacun se présente non pas comme le meilleur, mais comme “le moindre mal”.
Au total, une conviction partagée par tous se dégage : aucun parti n’est en mesure d’obtenir la majorité absolue et ne pourra donc gouverner seul durant les cinq prochaines années. De ce fait, certains, craignant d’être éliminés, prônent un gouvernement de consensus, histoire d’avoir une participation au pouvoir. Même si plusieurs partis adhèrent à cette idée, il est clair que le pays est et restera divisé, politiquement parlant. De ce fait, un gouvernement de consensus ne sera nullement efficace, ni en mesure de résoudre les problèmes graves qui se posent au pays.

Pour que le consensus fonctionne, il faut que les participants aient le même poids et que la confiance règne entre eux. Visiblement, on est loin du compte : les islamistes ont leur projet de société qui veut [à terme] instaurer un califat alors que plusieurs autres partis en proposent un autre, moderniste, progressiste avec une Tunisie forte, indépendante et souveraine. Et même parmi ceux-là, il y a des divergences difficiles à surmonter, les uns prônant le libéralisme, les autres parlant de socialisme.

Le danger de la dictature

D’aucuns se réfèrent aux élections d’octobre 2011 pour mieux affronter celles d’octobre 2014. On espère que les résultats du scrutin seront différents et permettront au pays de sortir de l’ornière dans laquelle il se débat depuis trois ans. Aux dernières élections, on avait enregistré un fort taux d’abstention au niveau des inscrits sur les listes électorales et au niveau des votants. De plus, vu le nombre pléthorique des listes, la moitié des votants n’avaient pas été représentés à la Constituante et le pays a été gouverné par une minorité devenue majorité relative.

Aujourd’hui, le nombre de listes est aussi pléthorique (plus de 1 300). Le risque d’éparpillement des voix est encore présent. Certains plaident d’ailleurs pour la dispersion des voix, brandissant le danger de la dictature si un seul parti obtient la majorité absolue. Cet appel provient de partis minuscules ou de listes d’indépendants rêvant d’un siège au futur Parlement. Ce faisant, ils démontrent que le sort de la Tunisie leur importe peu et ils n’ont que leur petite ambition personnelle en tête.

“L’exception” tunisienne

A l’instar du président “provisoire” de la République [Moncef Marzouki, Congrès pour la République], candidat à la prochaine présidentielle qui agit comme Ubu roi, le personnage célèbre créé par l’écrivain Alfred Jarry, symbolisant le délire du pouvoir, l’ivresse du pouvoir, l’absurdité du pouvoir et qui ne cesse de vilipender ses adversaires et de s’en prendre aux médias et aux journalistes qui ne l’encensent pas. Il faut croire que, durant cette campagne, nous avons découvert plusieurs petits Ubu.

Invectives, insultes, dénigrement, manipulations, démagogie, populisme, propositions fantaisistes, on aura tout vu durant cette campagne. Mais le peuple en est-il dupe ? Rien n’est moins sûr et ses premières réactions sont significatives à cet égard : le rejet, le ras-le-bol, la désaffection. Seulement, le prochain scrutin est très important, primordial pour l’avenir du pays et il serait déplorable que l’abstention soit importante.

La meilleure façon pour les électeurs d’exprimer leur mépris pour les fausses promesses et les gesticulations de nos Ubu est justement d’aller aux urnes et de choisir ceux qui sont susceptibles de garantir la société voulue par tous les Tunisiens. Celle qui a fait “l’exception tunisienne”, tant enviée et jalousée par des pays vivant à l’ère des cavernes. Il ne s’agit pas de choisir le moindre mal mais de voter pour le meilleur, parmi ceux qui se présentent.