Les Coptes, nouvelles cibles de l’État islamique – La Vie

Les Coptes, nouvelles cibles de l’État islamique

 

Représentant environ 10% de la population égyptienne, les chrétiens sont menacés par des militants affiliés à Daech au Nord-Sinaï. Plus de 100 familles ont pris la fuite.

Installées en cercle dans un jardin verdoyant, le vent du Nil caressant leurs visages, quatre femmes vêtues de noir jouissent de la douceur d’Ismaïlia, ville située sur les rives du canal de Suez, dans le nord-est de l’Égypte, ce dimanche 26 février. Comme plus d’une centaine d’autres familles menacées par l’État islamique, ces chrétiennes ont quitté précipitamment El-Arish, dans le Nord-Sinaï, près de la frontière avec Gaza. Depuis 2013, l’armée égyptienne tente péniblement d’anéantir les militants lourdement armés, à commencer par Province du Sinaï, un groupe qui a prêté allégeance à Daech en novembre 2014.

L’escalade de la violence dans le nord-sinaï

Les quatre femmes entourent Nabila Fawzy, le regard lourd sous son khôl, qui souligne ostensiblement ses paupières. Le double assassinat sauvage qui a emporté son mari et son fils, quelques jours plus tôt, a fait la une de la presse égyptienne, amorçant un débat public sur le sort des chrétiens du Nord-Sinaï, dont sept ont été exécutés au cours du mois dernier. « Des hommes en noir sont entrés brusquement dans la maison en pleine nuit, raconte douloureusement Nabila Fawzy. Ils m’ont demandé si nous étions chrétiens, mais j’ai compris qu’ils connaissaient déjà la réponse. Ils ont tiré sur mon mari avant de voler plusieurs objets, comme mon téléphone portable, la bouteille de gaz et même mon alliance. Puis ils ont brûlé vif mon fils avant d’incendier toute la maison. »

Aux côtés d’une cinquantaine de familles, Nabila Fawzy a trouvé refuge à Beit El Shebab (« la maison des jeunes » en arabe), un vaste centre d’accueil public au mobilier moderne. Dans la pièce principale, des bénévoles distribuent des gâteaux aux enfants, dont le calme étonnant trahit la confusion. Un prêtre copte console les membres d’une famille traumatisée, tandis qu’un couple de vieillards raconte « la belle époque » des années Moubarak, le dictateur égyptien renversé en plein printemps arabe en février 2011, le début d’une escalade de la violence dans le Nord-Sinaï, qui connaît son apogée à partir de juillet 2013, lorsque l’armée renverse le pouvoir du Frère musulman Mohamed Morsi, premier président civil élu démocratiquement en Égypte un an plus tôt.

Comme de nombreux chrétiens d’El-Arish, Sobhy Guerguis, du haut de ses 85 ans, est originaire de Haute-Égypte, une région habitée par une importante communauté copte, majoritairement pauvre. « J’ai vécu 50 belles années à El-Arish, se souvient-il en tenant fermement sa canne. Depuis la révolution, la situation n’a fait qu’empirer, jusqu’à ce que des terroristes viennent directement nous menacer à l’intérieur de nos maisons » , dit en tremblant encore ce vieillard, qui a adopté la tenue bédouine du Sinaï. Vêtue de noir, depuis le voile jusqu’aux chaussures, sa fille Mariam Sobhy se tient debout et s’exprime avec la clarté qui sied à son métier d’enseignante. « Nous avons tout laissé derrière nous, explique-t-elle. C’est arrivé soudainement. Bien sûr, nous savions que les chrétiens étaient ciblés par les agressions, les vols et les kidnappings. Mais qui aurait pu prédire une telle escalade ? »

Cohabitation paisible avec les musulmans

Joint par téléphone, Attef Tawfik, qui vit à Assiout, en Haute-Égypte, confirme cet état d’insécurité que lui a décrit son frère Gamal Tawfik, instituteur et vendeur de chaussures à El-Arish, avant qu’il ne soit tué à bout portant dans un marché bondé et en plein jour le 16 février dernier. « Il nous avait parlé des problèmes que la communauté chrétienne subissait depuis plusieurs mois dans cette région, mais il n’avait pas envisagé qu’on atteindrait ce niveau-là. On craint un scénario à l’irakienne » , alerte Attef Tawfik avec l’accent paysan typique de Haute-Égypte. Si les assassinats ciblés de chrétiens sont attribués à Province du Sinaï, les témoins se veulent prudents. « Ils nous obligent à décliner notre identité, mais ils se gardent bien de dévoiler la leur », lance une jeune femme qui requiert l’anonymat. Seule conviction unanimement partagée, ces hommes ne peuvent être leurs voisins musulmans. Alors que les violences interconfessionnelles secouent régulièrement la Haute-Égypte, peuplée notamment de chrétiens et de salafistes extrémistes, le Sinaï bédouin constitue à leurs yeux un îlot de cohabitation paisible entre communautés. Avec quatre jeunes enfants, Nadia Sayed Moussa, jeune femme gracile au voile fleuri, et son mari Ashraf Shawki, paré d’une galabeya (robe traditionnelle d’Égypte) et d’un keffieh autour du cou, excluent absolument cette piste. « Nos voisins musulmans sont comme le miel, assure la jeune femme timide. D’ailleurs, c’est l’un d’entre eux qui nous a conduits gratuitement jusqu’à Ismaïlia parce que nous n’avions pas assez d’argent pour payer un chauffeur. »

Daech cherche à séduire les musulmans

Présent aux côtés des familles, le militant copte Ishak Ibrahim craint néanmoins une offensive de charme de l’État islamique pour séduire les musulmans du Sinaï, dans une région étouffée par l’arbitraire de l’armée et des forces de sécurité. « Les musulmans du Sinaï sont majoritairement du côté des chrétiens et craignent eux-mêmes l’escalade de la violence, explique Ishak Ibrahim, qui œuvre à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels, une ONG. Il semble toutefois évident que les terroristes cherchent à s’attirer la sympathie des musulmans pour faciliter leurs actions et renforcer le climat général de peur. »

Appels à la solidarité envers les coptes

Sur les réseaux sociaux et à travers les médias, activistes, journalistes et artistes ont appelé l’ensemble des Égyptiens, musulmans en tête, à faire preuve de solidarité envers les Coptes exilés d’El-Arish au nom de l’unité nationale. L’initiative la plus importante est néanmoins venue de la minorité protestante. En Égypte, l’Église évangélique, bien que minoritaire, brille par son activisme dans les domaines caritatifs, culturel et médiatique. La petite église évangélique d’Ismaïlia a ainsi gagné une notoriété nationale en lançant, la première, une invitation aux Coptes persécutés d’El-Arish. « Nous avons accueilli 110 à 115 familles depuis mercredi, précise le cheikh Nabil Shukrallah. Nous n’avons pas la capacité de toutes les loger, mais nous participons à leur réinstallation. » « Nous réglons la course des chauffeurs d’El-Arish pour certaines familles qui n’ont pas les moyens. L’essentiel de la nourriture et des meubles mis à disposition est fourni par les fidèles. Nous recevons également des aides de certains commerçants et d’autres églises évangéliques plus importantes que la nôtre », ajoute Hélène Abdel Massih, engagée au sein de l’Église.

Devancé, l’archevêché copte d’Ismaïlia tente de reprendre la situation en main. « Il y a de moins en moins de familles qui arrivent à l’église évangélique, assure Abouna Moussa. Nous prenons désormais en charge 95 familles et nous leur avons ouvert un compte bancaire. Nous sommes aussi en lien étroit avec le gouvernement et les gouvernorats pour trouver une issue satisfaisante à cette crise. »

Dimanche, le ministre des Affaires juridiques et parlementaires, Omar Marwan, a annoncé que l’État avait relogé 118 familles et que le ministère de la Solidarité sociale devrait verser une allocation de 1000 livres égyptiennes (60€) à chaque famille. Le président Abdel Fattah al-Sissi avait appelé, samedi, à prendre toute mesure nécessaire pour aider les Coptes en exil. « Lorsque les chrétiens rencontrent des difficultés, précise toutefois le père Moussa, ils viennent d’abord trouver de l’aide et du réconfort au sein de leurs églises. »

La stratégie de Daech
Dans une vidéo diffusée le 19 février, Daech menace de multiplier les attaques contre les chrétiens d’Égypte, qualifiés de « proie favorite ». Le clip de 20 minutes met en scène un homme masqué présenté comme l’auteur de l’attentat de décembre 2016 contre l’église Saint-Pierre (El Botrosseya) du Caire, qui a provoqué la mort de 29 fidèles. Depuis 2011, les groupes armés visent prioritairement les forces de sécurité, avant d’élargir plus récemment leur cible aux civils, en particulier les chrétiens, au Caire, mais surtout dans la région instable du Nord-Sinaï, près de la frontière avec Gaza. Jadis baptisé Ansar Beit al-Maqdiss (« les partisans de Jérusalem »), le groupuscule le plus actif a changé de nom pour devenir Province du Sinaï (Wilayat Sinaa), après avoir prêté allégeance à Daech en novembre 2014.