Contre l’antisémitisme, contre le rejet des musulmans – La Croix

Contre l’antisémitisme, contre le rejet des musulmans

Alfred Grosser, La Croix – lundi 9 janvier 2017

 

Le milieu dirigeant français se veut à la tête de la lutte contre l’antisémitisme. Parmi les huit cents convives du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), en mars dernier, figuraient le premier ministre et nombre de membres du gouvernement, presque tous les leaders de l’opposition, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le préfet, le procureur général, l’archevêque de Paris. Quelques mois plus tard, Jean-Pierre Chevènement était nommé président de la Fondation pour l’islam de France. Imagine-t-on un chrétien nommé à la tête du Crif ? Parfois il semble que le rejet de l’antisémitisme efface le nécessaire rejet de l’anti-islamisme. Le 19 mars 2012, Mohamed Merah a horriblement assassiné quatre adultes et enfants dans une école juive, dont une fillette de 8 ans. Il est juste et bon que ce crime demeure dans les mémoires. Mais les 11 et 15 mars, à Toulouse et à Montauban, il avait aussi tué un militaire, puis deux autres. Un survivant à cette dernière tuerie est resté tétraplégique. Où et quand évoque-t-on ces victimes-là, dont deux étaient musulmanes ?

L’antisémitisme n’est pas mort pour autant. Il a plusieurs sources, plusieurs dimensions. Il existe une forme qu’il n’a pas, mais qui est sans cesse dénoncée par le Crif : toute critique d’Israël et de sa politique, toute défense des Palestiniens opprimés seraient déjà de l’antisémitisme. En fait, la plupart de ces critiques sont inférieures à celles énoncées par nombre d’intellectuels israéliens. Ils font leur la formule employée par le laudator de l’un d’entre eux, David Grossman, lorsque celui-ci a reçu le prix de la paix à Francfort, en octobre 2010 : « Right or wrong, my country. If it is right, let us keep it right. If it is wrong, let us set it right (”Qu’il ait raison ou tort, c’est mon pays. S’il a raison, efforçons-nous de le garder ainsi ; s’il a tort, efforçons-nous de le mettre à raison”). »

Il existe encore un antijudaïsme traditionnel qu’évoquait la déclaration de culpabilité des évêques français en 1995. Il existe aussi, à l’extrême gauche et à l’extrême droite, en accord en la matière, un antisémitisme nouveau, avec tendance à la négation de l’horreur nazie. Les noms de Dieudonné, d’Alain Soral ou d’Éric Zemmour sont ici représentatifs. Les condamnations pour incitation à la haine raciale ont été sans effet.

On peut percevoir aussi une nouvelle crainte, parfaitement légitime, chez des Français juifs, crainte cependant aujourd’hui plus largement répandue en Allemagne, parce que l’Allemagne a accueilli et accueille beaucoup plus de réfugiés. Les arrivants en provenance du Moyen-Orient, Syriens et autres, n’ont-ils pas été élevés dans une haine à l’égard tout ensemble d’Israël et du judaïsme en général ? Même s’ils sont minoritaires parmi les demandeurs d’asile, ne risquent-ils pas de contaminer des citoyens du pays d’accueil ?

Le risque est faible si ces arrivants sont mis en contact et sont influencés par l’islam tolérant, renforcé dans sa tolérance par les échanges cordiaux interconfessionnels. À Sciences-Po, il existe une formation commune pour prêtres, pasteurs, rabbins et imams. L’introduction de ceux-ci à la laïcité se fait en partie à l’Institut catholique. Les écoles chrétiennes accueillent de nombreux élèves musulmans. Le travail du Centre d’étude du fait religieux contemporain est pleinement interconfessionnel. À la tête de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco combat les dérives dont la pire est peut-être la dénonciation de l’islam, avec appel à la fermeture de la frontière, de la part de gens qui confondent constamment Arabes et musulmans, comme si tous les Arabes étaient musulmans et comme si le plus grand État musulman, l’Indonésie, était arabe !

Pour les amener à la réflexion par l’émotion, il faudrait continuer à représenter et à faire connaître la pièce bouleversante qu’est Pierre et Mohamed,écrite en 2011 par un dominicain à la mémoire d’un autre dominicain, Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassiné en 1996 avec son chauffeur et ami, un jeune musulman acceptant de sacrifier sa vie aux côtés de l’ami chrétien. Ce sont ces amitiés-là que les assassins reprochaient à l’évêque.

Pourquoi ne pas mettre sur le même plan les deux racismes ? Pendant la campagne électorale qui va s’ouvrir, les candidats rejetteront tous l’antijudaïsme. Le rejet des musulmans ne sera guère proclamé, mais trop souvent insinué. Il faudra s’opposer à cette insinuation-là.