Chrétiens du Levant : les anges de Bethléem – Le Figaro

Chrétiens du Levant : les anges de Bethléem

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REPORTAGE 5/8 – Quel est l’état du patrimoine culturel des chrétiens du Levant ? Dans le cadre de l’exposition sur l’histoire de ces communautés qui a lieu à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 14 janvier, retrouvez notre carnet de route. Aujourd’hui Bethléem où, au-dessus de la grotte qui aurait vu naître Jésus, on achève la restauration des mosaïques médiévales de la basilique.

«Ici à Bethléem il y a trop de pression. Les Chrétiens palestiniens partent tous comme beaucoup de la majorité musulmane. À ce jour, nous ne représenterions plus qu’un pour cent de la population. Pourtant nous entendons demeurer une force tampon. Nous, les franciscains, présents dans cette cité depuis 1347, avons toujours été comme le bonsaï. Nos branches peuvent se voir comprimées, nos racines sont très anciennes.»

On le constate: la foi de frère Stéphane Milovitch, originaire du Massif central mais à Bethléem depuis plus de 30 ans, ne l’empêche pas de regarder la réalité en face. Elle est sombre comme dans toute cette Cisjordanie sous férule israélienne. Frère Stéphane a vu le mur de séparation se construire, jusqu’à huit mètres de haut, et fermer quasiment la ville, comme Hébron, comme Jéricho, comme nombre d’autres villes de Palestine où son ordre gère 14 écoles.

Il voit encore la barre de béton et de fils barbelés serpenter à l’horizon depuis l’établissement qu’il dirige, au sommet de la colline sainte. C’est une des plus anciennes écoles chrétiennes au monde. Elle date du XVIe siècle. La communauté de 300 religieux qui la gère, sans aide d’aucun gouvernement et en plus de l’accueil des deux millions de pèlerins annuels, agit du mieux qu’elle peut pour l’éducation des enfants palestiniens. Les 1162 garçons cette année et 800 filles sont les victimes collatérales d’une politique de plus en plus discriminatoire.

Car si les Palestiniens ne sortent pas facilement de Bethléem, tout entre à commencer par la drogue et le désespoir. Alors les franciscains ont ouvert des cours, construit des gymnases, fidèles à l’apostolat qui les anime: «affirmer la présence chrétienne autour des lieux saints par le dialogue pacifique»…

L’ordre mineur, reconnaissable à sa soutane brune à capuchon et ceinture de corde, est ainsi officiellement gardien de 49 sanctuaires entre Israël, Palestine, Liban, Jordanie, Égypte et Syrie. Frère Marwan, également franciscain, mais lui natif de Jérusalem, s’occupe des 50 internes de l’école privée de Bethléem. Des gamins de 6 à 16 ans internes dans la «Franciscan House of boys» aménagée depuis 2007 dans une des dépendances du couvent Saint Sauveur accolé à la basilique. «Ces mineurs, orphelins ou issus de familles à problèmes, se trouvent ici encadrés par un assistant social, deux éducateurs, quatre professeurs, deux cuisinières et plusieurs femmes de ménage», précise-t-il.

Frère Stéphane fait volontiers visiter la basilique de la Nativité. Elle n’est qu’à quelques pas. Il courbe le dos pour passer la «Porte de l’Humilité», une ouverture haute d’1,30 m qui était censée empêcher d’entrer à cheval dans ce lieu constamment fragilisé par les attaques extérieures. La basilique a été construite au-dessus de la grotte dans laquelle Jésus serait né, du moins d’après les Évangiles de Matthieu et Luc car, dans sa Vie de Jésus, Ernest Renan repousse catégoriquement cette thèse. Lui tient à Nazareth…

Quoi qu’il en soit la crèche et sa mangeoire (en marbre) se visitent dans les entrailles de l’édifice où les croyants embrassent la roche. Régulièrement on voit le bedeau à quatre pattes rallumer les bougies de l’anfractuosité principale. Cela amuse beaucoup sa fille âgée de quelques années. Elle ne se doute pas que pour elle c’est tous les jours l’Avent.

Sous l’église Sainte-Catherine des franciscains, accolée au bâtiment de souche constanto-justinienne, se visitent également la grotte de Saint Joseph, l’autel des saints Innocents, la tombe de saint Eusèbe de Crémone et surtout, la chambre dans laquelle saint Jérôme a réalisé la Vulgate, célèbre version latine de la Bible, devenue le texte officiel de l’église d’Occident.

Mais remontons au niveau du sol et revenons dans la basilique. Le comité présidentiel de Palestine vient d’achever le nettoyage des façades, des planchers, des cinquante colonnes peintes au temps des croisades et des ouvertures. Les portes en bois du narthex (porche intérieur) en particulier: elles sont à nouveau admirables avec leurs magnifiques arabesques ciselées.

Dans la nef, un toit interne, provisoire, en poutres de bois et PVC, a été monté en 2013 jusqu’à une hauteur de 12 mètres. L’ensemble est venu entièrement d’Italie. Il a été installé sous la compétence d’universitaires de Ferrare afin de pouvoir traiter la charpente et la toiture. Ce système permet aussi de protéger des intempéries les 135 m² des 2000 m² de mosaïques découverts en juillet 2016 sous une couche de plâtre posée en 1840 sur les parois de la nef et du transept.

Eux-mêmes se trouvent en cours de restauration. Peu à peu ils révèlent un trésor datant des années 1160 voulu autant par l’empereur de Constantinople que par le roi de Jérusalem et l’évêque de Bethléem. C’est en effet ensemble qu’ils avaient commissionné ce décor, alors que le schisme entre orthodoxes et catholiques était il y a seulement un siècle.

Que pouvait représenter cet ensemble de 1,5 million de tesselles de pâte vitrée colorée, laminées d’or et d’argent, voire de nacre, patiemment incliné selon différents angles pour créer des effets de lumière, sinon un bel œcuménisme?

Contrairement aux mosaïques trouvées précédemment dans le sol, aujourd’hui protégées par de lourds volets en bois qu’on ne soulève que parcimonieusement, les motifs subsistants sont moins géométriques que figuratifs. Repérés à l’aide de caméras thermiques, des anges et apôtres ressuscitent là, remarquablement préservés. Derrière les bâches qui devraient être enlevées à la fin de l’année, on les devine déjà dans leurs attitudes augustes et graves empruntées au style byzantin. Ils semblent même en parfaite harmonie tandis qu’un office orthodoxe se déroule à leurs pieds…

Conciles œcuméniques

En fait dans la partie basse, était figurée la généalogie de Jésus depuis Abraham. Au niveau intermédiaire, on découvrait la représentation des Conciles œcuméniques et des synodes locaux. Enfin une procession de 24 anges au total couronnait le tout. Ceux qui ont survécu avaient été noircis par la fumée des chandelles et abîmés par les arquebuses des ottomans. Chacun a une aile abaissée et la seconde encore en vol, symbole de la proximité du lieu avec l’au-delà. Les spécialistes, grimpent dans les échafaudages et travaillent essentiellement la nuit afin de ne pas perturber les offices et le flux des pèlerins. Parmi eux on trouve des musulmans. Ils travaillent même le vendredi et reçoivent sans s’offusquer des ordres de la part de femmes.

Bâtie pour la première fois en 339, l’église de la Nativité a été détruite par un incendie puis reconstruite au VIe siècle. Ensuite, elle est arrivée jusqu’à nous, épargnée tant par les Perses par respect pour les Mages qui ornaient sa façade, que par le calife al-Hakim, parce que l’abside sud abritait une mosquée. Elle a survécu au temps, aux sièges et même aux tremblements de terre. Selon Piacenti, société italienne qui réalise les travaux, elle n’aurait pas été restaurée depuis 1478 en raison des disputes entre les Églises catholique, grecque orthodoxe et arménienne qui l’animaient. Celles-ci la gèrent conjointement depuis l’accord de 1852.

Conséquence de ce destin miraculeux: on embrasse fort bien, depuis la cour de la Franciscan House of boys, la base originelle. Ce type de vestige d’église fortifiée remontant à un style préroman n’existe plus en Occident. Pour sortir de la classification «patrimoine mondial menacé» attribué par l’Unesco en 2012, plus de 10 millions d’euros ont déjà été engagés et il en faudrait plus. Pas moins de 170 personnes et 64 entreprises sont impliquées dans l’entreprise de sauvegarde. Cela sans compter les papes. Jean-Paul II venu en 2000, Benoît XVI en mai 2009 et, cinq ans plus tard, François.