​« L’archéologie ne peut pas être la priorité dans un territoire qui survit » – Chloé ROUVEYROLLES

À Gaza, Atef Salamé a acheté et rénové un palais ottoman vieux de plus de quatre siècles et s’inquiète pour les autres vestiges historiques abandonnés de la région.

Chloé ROUVEYROLLES (de Gaza) | OLJ

Atef Salamé a acheté et rénové l’une des dernières bâtisses anciennes de la vieille ville de Gaza. S’il est fier d’avoir contribué à la préservation du patrimoine d’un territoire habité depuis plus de 35 siècles, il s’inquiète pour les autres sites archéologiques, oubliés ou en danger.

« J’habite dans un château, donc je suis une princesse ! » s’exclame Lama dans son uniforme d’écolière, en courant dans la cour intérieure de sa maison, sous le regard amusé de ses parents, Kawthar et Atef Salamé. Ils ont donc rénové cet ancien palais ottoman et y vivent depuis le début de l’année. « Il y a eu six mois de travaux, 150 ouvriers, beaucoup de recherches et d’argent investi, mais aujourd’hui nous sommes vraiment contents d’avoir sauvé ce lieu », raconte le père, professeur d’université en sciences des communications.

La maison qu’il habite serait vieille de plus de 430 ans. Quand il explique aux membres de sa famille son projet, l’accueil est circonspect. Ils habitent une villa moderne et Kawthar, sa femme, craint l’insalubrité de la ruine. Elle a changé d’avis après le déménagement : « Cette maison a des avantages, elle garde la chaleur en hiver et est fraîche aux beaux jours. Nous avons aussi une véritable intimité, même si nous sommes au cœur de la ville : les murs sont épais et nous n’avons presque aucune fenêtre sur l’extérieur car il y a déjà un puits de lumière depuis le toit. »

Le couple refuse de dire combien la maison et les travaux leur ont coûté mais le mètre carré se serait vendu à plus de 1 000 dollars. Or la maison est construite sur deux étages et compte huit chambres. « Ce n’est pas une propriété, c’est un morceau d’histoire », s’agace Atef Salamé quand on insiste sur les coûts. Il préfère parler de son étude de l’architecture syrienne ou turque avant de diriger les travaux, des vitraux qu’il a eu toutes les peines du monde à faire venir d’Hébron, ou de l’effet « usé » qu’il a demandé aux ouvriers de reproduire sur les portes.

Le « Louvre » de Gaza…
C’est pourtant précisément parce que tout le monde ne peut pas se permettre de financer un tel projet que de nombreuses demeures sont à l’abandon. On les devine dans certains quartiers, vestiges de cet ancien port florissant reliant l’Afrique et l’Asie, où Napoléon Bonaparte aurait passé plusieurs nuits. « Les gens appellent notre maison le Louvre de Gaza et nous félicitent – le premier mois on a même reçu des cadeaux ! – mais généralement, les Gazaouis ont cessé de faire attention à leur patrimoine », se désole le nouveau châtelain. Sa femme renchérit : « il y a beaucoup de problèmes à Gaza, entre les violences, la pauvreté… Nous essayons de montrer la voie à suivre, mais nous ne pouvons pas toujours lutter. » Ils appellent les organisations internationales, notamment l’Unesco, à s’impliquer davantage dans la préservation de la cité antique.

Au printemps, les vestiges d’une église chrétienne datant d’au moins 14 siècles ont été trouvés à l’occasion d’un chantier de construction d’un centre commercial. Au moins l’une des colonnes de marbre a été détruite, et on peine à savoir auprès du ministère des Antiquités ce qu’il est advenu du reste. Plusieurs archéologues ayant effectué des missions dans la bande de Gaza parlent aussi d’un marché noir dynamique…
« Il y a une tension entre les modes de vie des Gazaouis et ce désir de valoriser le patrimoine », résume Jean-Baptiste Humbert, directeur du laboratoire d’archéologie de l’École biblique et archéologique française, depuis son bureau de Jérusalem. Lui qui a conduit des fouilles dans la région depuis plus de 20 ans a conseillé la restauration de plusieurs vieilles maisons – notamment grâce au mécénat de Jawdat Khoudari, un riche homme d’affaires palestinien. Il concède qu’il existe des bonnes volontés, mais préconise la patience : « Ce n’est pas le temps de l’archéologie. Même s’il y a des collectionneurs, l’archéologie ne peut pas être la priorité dans un territoire qui survit. »

René Elter, lui aussi chercheur attaché à l’École biblique, partage ces conclusions : « Il y a un vrai désir de faire avancer les recherches mais la plupart du temps, un événement vient casser les systèmes mis en place : ça peut être la guerre, un problème familial… Sur les cinq étudiants que nous avons formés, l’un est chauffeur de taxi, l’autre architecte, le troisième travaille dans la construction… Ils abandonnent le patrimoine, simplement parce qu’ils ne peuvent pas nourrir leur famille! »